Dans deux arrêts récents(1)(2), la Cour de cassation s’est penchée sur la question de l’inclusion de la TGAP (« taxe générale sur les activités polluantes »), dans sa composante déchets, dans l’assiette de la contribution sociale de solidarité et de la contribution additionnelle (C3S).
La notion de « taxes sur le chiffre d’affaires » a été, une nouvelle fois, au centre des débats.
Les deux affaires font suite à une demande de remboursement par des contribuables d’un trop versé de C3S, en raison de l’inclusion à tort dans l’assiette de cette dernière de la TGAP.
Pour mémoire, en vertu de l'article L. 651-5, alinéa 1er, du Code de la sécurité sociale (devenu article L. 137-33), dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des contributions litigieuses, les entreprises assujetties à la C3S sont tenues d'indiquer annuellement à l'URSSAF le montant de leur chiffre d'affaires déclaré à l'administration fiscale au cours de l’année civile précédente, calculé hors taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, qui servira d’assiette à la C3S. La C3S est ensuite liquidée au taux de 0,16 % après application d’un abattement d’assiette égal à 19 millions d’euros.
C’est sur cette notion de « taxe sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées » que s’est noué le litige, les contribuables considérant que la TGAP, dans sa composante déchets, devait être considérée comme une taxe sur le chiffre d’affaires et donc déduite, en tant que telle, de l’assiette de la C3S.
Les demandes des contribuables ont fait l’objet de rejets par l’URSSAF (chargé du recouvrement de la C3S), qui a considéré que la TGAP ne faisait pas partie de la catégorie des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées recensées par le titre II de la première partie du Code général des impôts (CGI), et n’était donc pas, à ce titre, déductible de l’assiette de la C3S.
Les deux cours d’appel saisies dans ces affaires ont retenu des positions divergentes. Ainsi la Cour d’appel de Versailles(3) a-t-elle validé la position de l’URSSAF et du TGI. La Cour d’appel de Bordeaux(4) a en revanche fait droit à la demande du contribuable en jugeant que « la TGAP dans sa composante déchet doit être qualifiée de taxe sur le chiffre d’affaires ou assimilée au sens de l’article L.651-5 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, et donc déductible du chiffre d’affaires global sur lequel sont assises la contribution sociale de solidarité et la contribution additionnelle y afférente ».
Cette dernière position n’a pas été suivie par la Cour de cassation qui a jugé dans les deux affaires, que la TGAP, dans sa composante déchets, qui constitue une taxe intérieure prévue par les articles 266 sexies et 266 quinquies du Code des douanes et ne figure donc pas au nombre des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées énumérées au titre II de la première partie du CGI est incluse dans l’assiette de la C3S.
La position de la Cour de cassation s’inscrit dans la directe lignée de son arrêt en date du 26 mai 2016(5) dans lequel la taxe d’aménagement du territoire, codifiée à l’article 302 bis ZB du CGI, qui est à la charge des concessionnaires d’autoroutes, avait été considérée comme déductible de l’assiette de la C3S en tant qu’elle appartenait à la catégorie des taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées conformément à l’intitulé du titre II de la première partie du livre premier du CGI, dans lequel est insérée cette disposition.
La Cour de cassation applique donc une lecture terminologique stricte de la notion de « taxes sur le chiffre d’affaires et assimilées », puisque la nomenclature prévue par le CGI constitue pour elle le critère décisif pour déterminer l’exclusion ou non d’une taxe de l’assiette de la C3S.
La réitération par la Cour de cassation de son interprétation restrictive de la notion de « taxes sur le chiffre d’affaires et assimilées » ne va pourtant pas de soi et n’est pas celle retenue par le Conseil d’État. À ce titre, outre les dispositions du Code de la sécurité sociale sur la détermination de l’assiette de la C3S, on retrouve en effet la « notion de taxes sur le chiffre d’affaires et assimilées » à l’article 1586 sexies, I, 4, b du CGI parmi les éléments venant en déduction de l’assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), à l’instar donc du mécanisme de déduction prévue pour les besoins de la C3S à l’article L. 137-33 du Code de la sécurité sociale.
À cet égard, le Conseil d’État, à l’opposé de la position de la Cour de Cassation considère que cette notion désigne « non les taxes qui figurent au titre II de la première partie du livre premier du code général des impôts, mais la taxe sur la valeur ajoutée et les taxes qui, en application des normes comptables, grèvent le prix des biens et des services vendus par l’entreprise»(6).
Le rapporteur public, Yohann Bénard, qui relevait dans ses conclusions sous cet arrêt, l’approche restrictive suivie par la Cour de cassation en matière de C3S, a fortement critiqué une telle approche qu’il a jugé « étrange » et a recommandé aux juges du Palais Royal de s’en éloigner. En effet, outre le fait que l’intitulé des divisions et subdivisions d’un texte juridique n’a, en principe, pas de valeur normative(7), il apparaissait selon lui « peu objectif » et « peu rationnel » au sens de la jurisprudence constitutionnelle de faire dépendre la déductibilité d’une imposition de sa position dans le CGI, une telle lecture n’étant pas de nature à assurer sa conformité aux principes d’égalité devant la loi fiscale et d’égalité devant les charges publiques.
Il ressort des conclusions précitées, que le Conseil d’État a choisi d’interpréter la notion de « taxes sur le chiffre d’affaires et assimilés » à la lumière de leur sens comptable, retenant ainsi la grille d’analyse fixée par la jurisprudence Foncière Ariane(8) de 2006 en matière de CVAE .
Cette grille d’analyse consiste, pour déterminer si une charge ou un produit entre dans le calcul de l’assiette de la CVAE, à se reporter aux normes comptables en vigueur lors de l’année d’imposition concernée afin de définir si ladite charge ou ledit produit se rattache à l’une des catégories d’éléments comptables limitativement énumérées par la loi (en l’occurrence l’article 1586 sexies, I du CGI).
En application de cette approche, devraient ainsi être admis en déduction de la CVAE les impositions qui grèvent, d’un point de vue comptable, le prix des biens et des services vendus par l’entreprise, c’est-à-dire celles qui sont comptabilisées dans le chiffre d’affaires en sus du montant net des ventes, à l’exclusion des impositions qui, soit n’apparaissent pas dans le compte de résultat, soit y sont enregistrées dans un compte de charges.
Pour la petite histoire on notera enfin qu’en ce qui concerne la TGAP le Conseil d’État a jugé, à propos de la taxe professionnelle, que la « taxe générale sur les activités polluantes due à l’occasion de la première livraison après fabrication nationale des lubrifiants susceptibles de produire des huiles usagées est au nombre des taxes qui doivent être regardées comme grevant le prix des biens et des services vendus par l’entreprise, de sorte que son montant doit être exclu pour le calcul de la valeur ajoutée »(9).
Enfin, si la C3S est recouvrée par l’URSSAF, la DGFiP qui est en principe en charge du recouvrement des taxes visées au titre II de la première partie du livre premier du CGI, adopte une approche plus étendue de la notion de « taxes sur le chiffre d’affaires ».
Cette notion recouvre en effet pour l’administration fiscale, les impositions qui relèvent d’un même régime de gestion, de procédures et de sanctions, en matière de constatation, de contrôle, de recouvrement et de contentieux.
À titre d’illustration, sont notamment considérées comme relevant de cette notion l’ensemble des taxes figurant dans le Code des impositions sur les biens et services (CIBS), taxes qui, par définition, ne sont pas présentes dans la nomenclature visée par la Cour de cassation pour les besoins de la C3S.
Par ailleurs, on relèvera avec attention que la TGAP figure parmi les taxes citées par l’administration fiscale comme relevant de la notion de « taxes sur le chiffre d’affaires » et aura ainsi vocation à être inclue dans le CIBS(10).
Régulièrement visée par des propositions conduisant à sa suppression (elle devait être notamment supprimée à compter de 2017), la C3S perdure au gré des lois de financement de la sécurité sociale. Elle demeure source de nombreux contentieux et d’incertitudes préjudiciables aux contribuables - comme en témoigne, par exemple, la rigueur dont fait preuve l’URSSAF lors des contrôles et la Cour de cassation concernant les conditions d’application du régime des commissionnaires (i.e., bénéfice d’une assiette réduite) qui peuvent s’avérer obsolètes au regard de la pratique actuelle de ces schémas d’intermédiation(11).
Il en va de même l’indéfectible problématique de l’inclusion des transferts intracommunautaires dans l’assiette de la C3S. À date, cette question n’est pas close plusieurs pourvois étant en cours d’instruction par la Cour de cassation. On soulignera par ailleurs la dernière décision de la Cour de cassation selon laquelle la condition de déduction requise par la CJUE(12) n’était pas remplie lorsqu’il était uniquement permis au cotisant d’agir en remboursement des contributions indûment acquittées sur le fondement de l’article L. 243-6 du code de la sécurité sociale(13).
Enfin, on rappellera que la C3S constitue un enjeu financier significatif pour les entreprises qui d’une manière générale se doivent de porter une attention particulière à la détermination de son assiette et notamment aux opérations non représentatives d’un chiffre d’affaires taxable en France qui ne doivent pas être inclues dans l’assiette de la C3S (les prestations de services relevant de l’article 44 de la Directive TVA sous certaines conditions, les ventes dites étranger sur étranger, etc….). En cas d’erreur dans le calcul de la taxe les entreprises sont en mesure de solliciter, auprès de l’URSSAF, la restitution du trop versé de C3S. De telles demandes sont prescrites dans un délai de 3 ans à compter de la date effective de paiement de la C3S.
[1] Cour de cassation, 5 septembre 2024, n° 22-17.393
[2] Cour de cassation, 5 septembre 2024, n° 22-17.981
[3] CA Versailles, 21 avril 2022, n° 20/00850
[4] CA Bordeaux, 7 avril 2022, n° 19/06198
[5] Cour de cassation, 26 mai 2016, n° 15.18-357
[6] Conseil d'État, 29 juin 2018, n° 416346
[7] Conseil d'État, 7 octobre 2015, n° 386436
[8] Conseil d’État, 4 août 2006, n° 267150
[9] Conseil d'État, 23 juin 2014, n° 352610
[10] BOI-TCA-20240710
[11] Cour de cassation, 26 septembre 2024, n° 22-18.939
[12] CJUE, 14 juin 2018, n° 39/17
[13] Cour de cassation, 16 février 2023, n° 21.14-237 et 21.14-238