Délai spécial de réclamation dans l’intégration fiscale : la logique de tunnelisation confirmée

La notification d’une proposition de rectification à l’égard d’une société membre d’un groupe d’intégration fiscale n’ouvre pas un nouveau délai de réclamation au profit de la société mère afin de corriger une mauvaise imputation des crédits d’impôt transmis par d’autres filiales au niveau du résultat d’ensemble. Le délai spécial n’est ouvert qu’au titre du résultat de la filiale notifiée.

CE, 9 octobre 2024, n° 490195, HBSC Bank PLC-Paris Branch, mentionné au recueil Lebon

Le 25 octobre 2017, l’établissement stable en France d’une société de droit britannique qui s’est constitué tête de groupe d’intégration fiscale demande la restitution de l’impôt sur les sociétés (IS) acquitté au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2010, correspondant aux erreurs qu’elle estime avoir commises dans les modalités d’imputation et la détermination des crédits d’impôt attachés aux loyers de source chinoise rémunérant des opérations de crédit-bail perçus par ses filiales, en application de l’article 22 la convention franco-chinoise. Elle se prévaut à ce titre du délai spécial de l’article R.196 3 du LPF ouvert par la notification à l’une de ses filiales, en avril 2014, d’une proposition de rectification portant sur ses résultats imposables de l’exercice clos en 2010.

L’administration, le Tribunal administratif et la Cour administrative d’appel rejettent la demande de la société pour tardiveté. 

Le Conseil d’État rappelle d’abord que :

  • il résulte des articles R. 196-3, L. 169 et L. 189 (1er alinéa) du LPF que :
    • un contribuable qui a fait l’objet d’une procédure de reprise ou de rectification dispose, pour présenter ses propres réclamations, d’un délai égal à celui fixé par l’administration pour établir l’impôt, 
    • lequel expire, s’agissant de l’IS, le 31 décembre de la 3ème année suivante celle au cours de laquelle la proposition de rectification a été régulièrement notifiée. 
  • si la société mère d’un groupe fiscalement intégré peut se constituer seule redevable de l’IS dû sur le résultat d’ensemble du groupe,
    • les sociétés membres du groupe restent soumises à l’obligation de déclarer leurs résultats, 
    • c’est avec ces dernières, que l’administration mène les procédures de vérification de comptabilité et de rectification, dans les conditions prévues aux art. L. 13, L. 47 et L. 57 du LPF.

Le Conseil d’État juge ensuite qu’il résulte de ces dispositions, combinées aux articles  
L. 169 et L. 189 du LPF que :

  • la notification régulière à une société membre du groupe fiscalement intégré des rehaussements apportés à son bénéfice imposable 

  • interrompt la prescription à l’égard de la société mère
    • en tant que redevable de l’IS de l’ensemble du groupe,
    • pour les seules impositions correspondant au résultat individuel de la société membre du groupe ayant fait l’objet d’une procédure de reprise. 
  • Dans une telle hypothèse, 
    • la société mère, en tant que redevable de l'IS de l'ensemble du groupe fiscalement intégré, ne peut se prévaloir du délai spécial de réclamation prévu à l’article R. 196-3 du LPF pour solliciter la correction de l’impôt d’ensemble à raison de la correction d’éléments concourant à sa détermination, propres à l’activité ou aux résultats des sociétés membres de ce groupe autres que la société ayant fait l’objet de la procédure de vérification et de rectification, 
    • il en va notamment ainsi lorsque la correction demandée porte sur la détermination du montant des crédits d'impôts, attachés aux produits reçus ou dépenses exposées par ces autres sociétés, imputables, en application de l'article 223 O du CGI, sur le montant de l'impôt d'ensemble dont la société mère est redevable. 

En l’espèce, pour juger tardive la réclamation présentée le 25 octobre 2017 par la société mère du groupe, la Cour administrative d’appel s’est fondée sur le fait que la proposition de rectification notifiée le 22 avril 2014 à sa filiale portait uniquement sur le résultat individuel de cette dernière et ne lui ouvrait pas, en application de l’article  
R. 196-3 du LPF, un nouveau délai pour demander la correction du montant, imputable sur le résultat d’ensemble du groupe, des crédits d'impôts forfaitaires attachés aux redevances de source chinoise perçues par vingt-trois autres de ses filiales.

Le Conseil d’État juge qu’elle a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit et rejette le pourvoi de la société. 

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts

Cette décision mentionnée au recueil Lebon constitue une nouvelle illustration de la logique de tunnelisation du délai spécial dégagée par le Conseil d’État dans l’affaire Vicat (CE, 8ème et 3ème, 26 janvier 2021, n° 438217). 

Dans cette précédente affaire, la société mère avait entendu se prévaloir du délai spécial suite à la notification d’une proposition de rectification à l’égard d’une de ses filiales afin de réclamer des impositions acquittées à tort au titre du résultat fiscal individuel d’une autre filiale. 

La question posée par la présente affaire était de savoir si le fait qu’en l’espèce la réclamation porte sur la computation du résultat d’ensemble était de nature à permettre l’application du délai spécial. Le contribuable se prévalait notamment du fait que l’article R. 196-3 du LPF ouvre le bénéfice du délai spécial au « contribuable » qui soit fait l’objet d’une procédure de « rectification » (ce qui n’était pas le cas ou niveau de la société mère) soit fait l’objet d’une procédure de « reprise ». La requérante arguait ainsi que la rectification au niveau de sa filiale s’était traduite, du fait du régime de groupe, par une « reprise » du résultat d’ensemble à son niveau et qu’elle avait par ailleurs seule la qualité de « contribuable ». Elle invoquait à cet égard la jurisprudence Société Weil Besançon selon laquelle seule la société mère est en droit de déposer une réclamation contentieuse dès lors que les rectifications apportées aux résultats déclarés par les sociétés membres conduisent à la correction du résultat d’ensemble déclaré par la société mère du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d’impôt établis à son nom (CE, 7 février 2007, n° 279588).

Toutefois, suivant en cela les conclusions de son rapporteur public Romain Victor, le Conseil d’État adopte une autre interprétation de la notion de « reprise ». 

Cette interprétation s’appuie notamment sur celle suggérée par le Commissaire du gouvernement Mandelkern sous une décision du Conseil d’État du 5 octobre 1973 (CE, 5 octobre 1973, n° 83169) selon laquelle l’utilisation du terme « reprise » viserait en réalité à assurer que le délai spécial ne s’applique non pas seulement aux vérifications de comptabilité mais à toutes les procédures aboutissant à des rehaussements comme notamment les procédures de taxation d’office. 

Par ailleurs, la circonstance que la société mère soit substituée aux filiales pour l’imputation des crédits d’impôts en vertu de l’article 223 O du CGI ne saurait faire perdre de vue que les crédits d’impôts remontent des filiales. 

Le Conseil d’État exclut ainsi tout « risque d’opportunisme fiscal » comme l’y invitait Romain Victor même si une simple lecture du texte aurait pu autoriser une autre interprétation. 

Cette solution est par ailleurs cohérente avec la décision de non-admission d’un pourvoi dans l’hypothèse d’une réclamation visant à la correction du mécanisme de limitation des charges financières au niveau du groupe (CAA Paris, 31 mai 2023, n° 22PA01636 et CE, 6 mars 2024, n° 476406).

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Catherine Cassan

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Charlotte Guincestre Carpentier

Charlotte Guincestre Carpentier

Fiscaliste, Département Doctrine, PwC Société d'Avocats

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