Pilier 1 – L’impact prochain du Montant B sur les prix de transfert des entités de distribution

L’avenir du Montant A, volet le plus médiatisé du Pilier 1 de la réforme de la fiscalité internationale initiée par l'OCDE, est toujours aussi incertain. En revanche, le volet Montant B, qui vise à mettre en œuvre une « approche simplifiée » de détermination des prix de transfert pratiqués à l’égard de certaines filiales de distribution, se concrétise. Le Montant B a en effet fait l’objet d’un rapport final publié le 19 février 2024, qui sera prochainement intégré aux Principes directeurs de l’OCDE. 

Des orientations complémentaires ont été publiées le 17 juin 2024. Les trois listes de pays communiquées à cette occasion, qui seront actualisées tous les cinq ans, auront une vraie incidence pratique. Les 145 pays membres du Cadre Inclusif, OCDE/G20 sur le BEPS (dont la France), quelle que soit l’option de mise en œuvre qu’eux-mêmes retiendront, se sont en effet engagés à respecter le résultat de l’application de l’ « approche simplifiée » par les filiales de distribution situées dans les pays figurant dans la première liste, si ces derniers optent pour le Montant B. Les pays figurant dans les deux autres listes sont ceux bénéficiant de certaines dispositions dérogatoires, susceptibles d’aboutir à un ajustement à la hausse de la rémunération standardisée attribuées aux filiales de distribution situées sur leur territoire. Il est notable que des pays tels que le Brésil, le Mexique, l’Argentine ou encore l’Afrique du Sud, qui ont fait part de leur intérêt pour le Montant B, figurent dans les trois listes de pays. Enfin, le 23 septembre 2024, le Cadre inclusif OCDE/G20 a publié un Modèle d'accord entre autorités compétentes pour faciliter la mise en œuvre du Montant B.

De son côté, la France a récemment annoncé qu’elle ne mettrait pas en œuvre le Montant B à l’égard des filiales de distribution implantées en France dès janvier 2025, dans l’attente de certains travaux complémentaires et de visibilité sur le sort du Montant A. 

A l'inverse, les Etats-Unis ont annoncé le 18 décembre 2024 que le Montant B serait applicable à l'égard des entreprises américaines éligibles, sur une base optionnelle, à compter du 1er janvier 2025. 

Ainsi, l'« approche simplifiée » aura bientôt des conséquences pratiques pour un grand nombre de groupes multinationaux, dont l'ampleur dépendra des choix de mise en œuvre que fera chaque pays à compter du 1er janvier 2025. Pour anticiper cette nouvelle donne, les groupes multinationaux peuvent d’ores et déjà identifier leurs filiales concernées par l’« approche simplifiée », et estimer le résultat auquel aboutirait sa mise en œuvre grâce à l’outil de simulation spécifiquement développé par PwC.

Cet article n'intègre pas la dernière publication de l’OCDE publiée le 19 décembre 2024 relative aux nouveaux outils pour la mise en œuvre du Montant B, qui fera l’objet d’une étude ultérieure.

  • Genèse de « l'approche simplifiée » : 

Le Pilier 1, projet de réforme visant initialement à résoudre les défis fiscaux posés par la numérisation de l'économie, est composé de deux ensembles de mesures : le Montant A et le Montant B. 

Le Montant A vise à conférer aux pays de commercialisation un nouveau droit d'imposer une fraction forfaitaire des bénéfices des grandes multinationales les plus rentables (celles réalisant un chiffre d'affaires consolidé de plus de 20 milliards d'euros et dont le taux de rentabilité excède 10 %, soit une centaine de groupes seulement à l'échelle mondiale), indépendamment de leur présence physique sur ces territoires. Son sort reste suspendu à l'adhésion des Etats-Unis, qui représentent plus de la moitié des groupes concernés, au projet de Convention multilatérale publié par l'OCDE. Cette adhésion est plus que jamais incertaine dans la configuration politique actuelle.

Le Montant B, qui concerne tous les groupes multinationaux, vise à mettre en œuvre une « approche simplifiée » consistant en une méthode harmonisée de détermination des prix de transfert pratiqués à l'égard des filiales locales de distribution de biens en gros. Partant du constat que de nombreux litiges fiscaux sont liés aux niveaux de profit conservés par ces filiales locales de commercialisation, « l'approche simplifiée » vise ainsi à offrir une meilleure sécurité juridique et alléger la charge de mise en conformité pour les administrations comme pour les contribuables.

Il aura fallu plus de deux ans de travaux, ponctués par deux consultations publiques, pour aboutir à « l'approche simplifiée » telle qu'elle apparaît dans le Rapport sur le montant B du 19 février 2024, approuvé par le Cadre inclusif et intégré en tant qu'annexe au chapitre IV des Principes directeurs de l'OCDE.

Des dispositions particulières ont été prévues à l'avantage notamment des « juridictions à faibles capacités », faisant face à une pénurie de ressources et de données disponibles. L'objectif politique de contribuer à sécuriser les recettes fiscales des pays en développement est clairement mis en avant, alors que certains d'entre eux, insatisfaits par la réforme en 2 Piliers, pressent pour déplacer le centre de gravité de la coopération fiscale internationale de l'OCDE vers l'ONU afin d'explorer de nouvelles voies de taxation des activités des multinationales.

Ainsi, le Rapport de février 2024 a été complété le 17 juin 2024 d’orientations complémentaires par lesquelles l’OCDE a publié trois listes de pays. Sur la première liste figurent les pays à l’égard desquels les états membres du Cadre inclusif s’engagent à respecter le résultat issu de l’ « approche simplifiée », quand bien même ils n’auraient pas eux-mêmes décidé de mettre en œuvre le Montant B. Sur les deux autres listes figurent les pays susceptibles de bénéficier de certaines dispositions dérogatoires, qui pourront conduire à ajuster à la hausse la rémunération standardisée des filiales de distribution situées dans ces pays.

Certains travaux complémentaires demeurent par ailleurs attendus (notamment l'introduction d'un critère qualitatif permettant d'exclure certaines transactions du champ de l'« approche simplifiée » pour répondre à la préoccupation de certains pays – commentée plus bas).

  • Perspectives de mise en œuvre de « l'approche simplifiée » 

L'« approche simplifiée » ne sera pas obligatoirement mise en œuvre par l'ensemble des pays membres du Cadre inclusif, ces derniers pouvant choisir de l'adopter ou non à compter du 1er janvier 2025. Les pays qui décideront de l'adopter pourront par ailleurs choisir entre rendre l'« approche simplifiée » optionnelle pour les contribuables, ou la rendre obligatoire.

Il est déjà acquis que l'« approche simplifiée » ne sera pas adoptée par l'ensemble des pays du Cadre inclusif, la Nouvelle-Zélande et l'Australie ont ainsi annoncé dès début 2024 qu'elles ne le mettraient pas en œuvre, mais privilégieront l'utilisation traditionnelle des Principes directeurs de l'OCDE. De son côté, l'Inde a émis d’importantes réserves sur l'« approche simplifiée ». Plus récemment, la France a indiqué qu’elle ne la mettrait pas en œuvre dès le 1er janvier 2025 à l’égard des filiales de distribution implantées en France, dans l’attente de l’issue des travaux complémentaires et de visibilité sur le sort du Montant A. On peut se demander si les Etats Membres de l'Union européenne chercheront à moyen terme à établir une position commune en ce qui concerne la mise en œuvre de l'« approche simplifiée », sous l’impulsion de la Commission Européenne, favorable aux mesures d’harmonisation des règles prix de transfert entre les Etats Membres.

Les Etats-Unis, à l'inverse, viennent d'annoncer dans une note du 18 décembre 2024 que l'« approche simplifiée » serait applicable à l'égard des entreprises américaines éligibles, sur une base optionnelle, à compter du 1er janvier 2025.

Au cas général, un pays n'ayant pas opté pour l'« approche simplifiée » ne sera pas contraint par le choix formulé par l'autre pays de la contrepartie de l'adopter. En cas de litige générant une double imposition, les procédures de prévention et de résolution des différends internationaux (procédures amiables et accord préalables en matière de prix de transfert) seront réglées sur la base des Principes directeurs généraux. 

Toutefois, les 145 pays membre du Cadre inclusif s'engagent à respecter le résultat obtenu par application de l'« approche simplifiée » par une entité située dans certaines juridictions qui auraient choisi quant à elle d’opter pour le Montant B. La liste des 66 juridictions concernées par cet engagement a été publiée par l’OCDE le 17 juin 2024. Parmi ces juridictions figurent notamment le Brésil, l’Argentine, le Mexique ou encore l’Afrique du Sud, qui ont fait part de leur intérêt pour le Montant B. Ainsi par exemple, si le Mexique décidait de rendre l’ approche simplifiée obligatoire à l’égard des filiales de distribution concernées situées sur son territoire, la France serait contrainte d’en accepter l’application à l’égard de la filiale mexicaine d’un groupe français, et le cas échéant d’éliminer en conséquence la double imposition, quand bien même elle n'a pas elle-même décidé de mettre en œuvre le Montant B à l’égard des filiales françaises de groupes étrangers. 

Quand bien même l' approche simplifiée ne serait adoptée que par une minorité de pays - hypothèse rendue moins probable par l'adhésion récente des Etats-Unis - son intégration dans les Principes directeurs en fera de facto un point de référence mobilisable par les administrations dans leur appréciation de la politique de prix de transfert des contribuables. Ce pourra être le cas par exemple lors de contrôles fiscaux, même si le Rapport indique que les transactions hors champ de l' approche simplifiée doivent être traitées traditionnellement selon les Principes directeurs, sans considérer que le résultat de l'approche simplifiée puisse constituer un plancher ou un plafond de rémunération des filiales de distribution.

In fine, la disparité des positions prises par les Etats vis-à-vis de l'approche simplifiée pourrait aggraver la complexité et l'incertitude juridique pesant sur les groupes multinationaux au regard des politiques de prix de transfert pratiquées à l'égard de leurs filiales de distribution en gros.

  • Un champ d'application potentiellement source de litiges

L'approche est applicable tant aux transactions réalisées par les filiales organisées sur un modèle de distributeur qu'à celles réalisées par des entités au statut d'agent ou de commissionnaire. Elle est limitée à la revente en gros de biens corporels, à l'exclusion des biens incorporels, des services et des produits de base. Les activités de vente au détail, à moins qu'elles représentent moins de 20 % du chiffre d'affaires de la filiale de distribution, sont également exclues.

Les activités visées sont les seules activités de distribution dites « de référence », à savoir les activités relativement simples et classiquement exercées par un distributeur (achat de biens en vue de leur revente, relation client, publicité, entreposage…). La transaction doit pouvoir être testée de manière fiable par une méthode de prix dite unilatérale (en pratique la méthode transactionnelle de la marge nette) appliquée au niveau du distributeur, ce qui implique qu'il ne supporte pas de risques économiques significatifs ni ne dispose d'incorporels uniques et de valeur, situations appelant l'emploi de méthodes de type profit split selon les Principes directeurs.

Enfin, pour que les transactions soient éligibles à l'« approche simplifiée », les charges d'exploitation encourues par le distributeur ne doivent pas être inférieures à 3 % de son chiffre d'affaires ni être supérieures à une limite fixée entre 20 % et 30 % de son chiffre d'affaires (au choix de la juridiction, ce qui sera une autre source de disparité d'application).

Certains pays (dont l'Inde) militent pour l'introduction, en plus de ce critère quantitatif, d'un critère qualitatif permettant d'identifier des activités autres que « de référence » représentant un facteur clé d'avantages économiques, qui, sans aller jusqu'à disqualifier les méthodes de prix unilatérales, excluraient les transactions du champ de l'approche simplifiée. On se souvient du critère qualitatif, non repris dans le Rapport de février 2024, qui avait été soumis à la Consultation publique de juillet 2023. Les travaux à cet égard sont toujours en cours.

On mesure bien le risque de litige portant sur le champ d'application compte tenu des débats susceptibles d'intervenir, sur la contribution du distributeur aux incorporels marketings du groupe qui justifieraient de l'attribution d'un profit supérieur à celui prévu par l'approche simplifiée, a fortiori si un critère qualitatif additionnel devait être introduit.

  • Une « approche simplifiée » dont le fonctionnement est relativement… complexe

La détermination du niveau de profit attribuable à la filiale de distribution au titre d'une transaction éligible fonctionne en trois étapes.

Dans un premier temps, une marge d'exploitation cible est déterminée en application de la méthode transactionnelle de la marge nette, par référence à l'un des 15 taux de marge issus de la « matrice de prix » élaborée par l'OCDE sur la base d'un benchmark mondial de données d'entreprises. Ces taux de marge, compris entre 1,5 % et 5,5 %, pourront être appliqués avec une flexibilité de +/– 0,5 %.

Catégorie sectorielle 

Catégorie sectorielle 1

Catégorie sectorielle 2

 Catégorie sectorielle 3

Intensité factorielle      
[A] OAS élevé / tout OES  
>45 % / tout niveau 

3,50 %

5,00 %

 5,50 %

[B] OAS moyen ou élevé / tout OES 
30 %- 44.99 % / tout niveau

3,00 % 

3,75 %

 4,50 %

[C] OAS faible ou moyen / tout OES 
15 %-29.99 % / tout niveau

2,50 %

 3,00 %

 4,50 %

[D] OAS faible / OES > faible 
<15 % / 10 % ou plus

1,75 % 

 

2,00 % 

 

3,00 %

[E] OAS faible / tout OES 
<15 % OAS / <10 % OES

1,50 %

 1,75 %

 2,25 %

Pour identifier lequel de ces 15 taux est applicable, il s'agira de positionner la filiale de distribution concernée dans la « matrice de prix » en fonction du groupe d'industrie auquel elle appartient, et de deux ratios financiers : « l'intensité des actifs d'exploitation nets » (à savoir les actifs d'exploitation nets, après correction éventuelle du besoin en fonds de roulement, rapportés au chiffre d'affaires net) et « l'intensité des charges d'exploitation » (à savoir les charges d'exploitation rapportées au chiffre d'affaires net). Ces ratios devront être calculés chaque année sur la base de la moyenne des trois années précédentes, le cas échéant sur la base de comptes segmentés si la filiale exerce à la fois des activités éligibles et non éligibles.

Dans un deuxième temps, la marge d'exploitation obtenue sera convertie en un « rendement équivalent sur charges d'exploitation », et ajustée le cas échéant. Il s'agira d'assurer que la marge d'exploitation reste comprise entre une limite inférieure de 10 % des charges d'exploitation, et une limite supérieure à 40 %, 60 % ou 70 % (ou 45 %, 70 % et 80 % pour les distributeurs situés dans certaines juridictions (dont la liste de 132 pays à revenus faible ou intermédiaire au sens de la Banque Mondiale été publiée le 17 juin 2024) selon le degré d'« intensité des actifs d'exploitation nets » calculé à l'étape précédente.

Intensité factorielle

Taux plafond par défaut

Taux plafonds alternatifs pour les juridictions éligibles

Taux plancher

OAS élevé (A)

70 %

80 %

10 %

OAS moyen (B+C)

60 %

70 %

OAS faible (D+E)  

40 %

45 %

Enfin, les distributeurs situés dans certaines juridictions (dont la liste de 135 pays dont la note de crédit souveraine est BBB+ ou inférieure, a également été publiée le 17 juin 2024), bénéficieront d'un ajustement à la hausse de la marge d'exploitation selon une formule censée refléter le supplément de profit associé au risque d’exploitation dans ces pays. Ainsi, ces filiales se verront systématiquement attribuer un supplément de profit, parfois substantiel, et sans doute pas toujours en ligne avec la rentabilité globale du groupe.

  • Une vraie simplification ?

L'« approche simplifiée » offre aux groupes multinationaux une simplification toute relative. Si elle les dispensera, en principe, de réaliser des études de comparables pour justifier les transactions éligibles entre juridictions ayant opté pour l'approche, ce ne sera pas le cas dès lors qu'une des deux juridictions n'aura pas opté. Le calcul de la marge d'exploitation selon l'« approche simplifiée », différencié pour chaque filiale de distribution, n'est d’ailleurs pas dénué de complexité.

L'« approche simplifiée » offre par ailleurs peu de flexibilité autour de la marge d'exploitation cible, ce qui aboutira pour certains groupes à des résultats pas nécessairement en ligne avec leur niveau de rentabilité globale, et pourrait accentuer les problèmes classiques liés à la gestion des ajustements de prix de transfert.

Les communications des différents Etats sur l'option qu'ils retiendront devront être suivies de près pour mesurer l'impact de la réforme sur la politique de prix de transfert des groupes multinationaux concernés.

Actualités juridiques et fiscales

Suivez notre actualité sur LinkedIn

Contactez-nous

Marie-Laure Hublot

Marie-Laure Hublot

Avocate, Associée, Toulouse, PwC Société d'Avocats

François-Xavier Riand

François-Xavier Riand

Directeur, PwC Société d'Avocats

Masquer