Quelle qualification pour les titres émis lors d’une recapitalisation suivie d’une TUP ?

Le Conseil d’État juge que les titres émis à l’occasion d’une recapitalisation, dans l’hypothèse particulière où cette opération est suivie à court terme de la dissolution de la société avec transmission universelle de son patrimoine à sa mère, sont des titres de participation, comme les titres d'origine, dès lors que cette opération a permis de conserver le contrôle de la société.

CE 11 juin 2024, n°470721, Agapes, mentionné au recueil Lebon 

Une société procède à la recapitalisation de deux de ses filiales dont elle est l’unique actionnaire, puis moins de deux ans plus tard, absorbe la première et dissout la seconde, ces opérations donnant lieu à la transmission du patrimoine des filiales à leur mère. Ces opérations génèrent des moins-values que la société qualifie de moins-values à court terme et qu’elle déduit de son résultat imposable.

À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration remet en cause cette déduction sur le fondement des dispositions de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI, introduites par la loi de finances rectificative pour 2012 (L. n° 2012-958, 16 août 2012, art. 18), qui visent à encadrer les règles de déduction des moins-values réalisées à l’occasion de la recapitalisation d’une filiale en difficulté en cas de cession, moins de deux ans après leur émission, des titres de participation reçus en contrepartie de l’apport. Elle considère en effet que les titres en question étaient, contrairement à ce que soutenait la société, des titres de participation et que l’opération réalisée était bien constitutive d’une « cession » au sens de ces dispositions.

Le CE rejette le pourvoi de la société et confirme l’arrêt d’appel :

 

  • S’agissant de la notion de « cession » au sens de l’article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI, il juge que : 
    • l'annulation de titres détenus par une société à la suite d'une opération de restructuration entraînant la transmission universelle à son profit du patrimoine de la société dont les titres sont annulés 
    • doit être regardée comme présentant le caractère d'une cession au sens et pour l'application de l'article 39 quaterdecies, 2 bis du CGI ;

 

 

  • S’agissant de la qualification des titres reçus à la suite d’une augmentation de capital :
    • le CE rappelle d’abord que sur le plan comptable : 
      • les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, 
      • notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. 
    • puis il juge que revêtent ce caractère : 
      • les titres qu'une société mère souscrit dans le cadre de la recapitalisation de sa filiale suivie, à court terme, de la dissolution de celle-ci avec transmission universelle de son patrimoine (TUP) à sa mère, 
      • dès lors que cette opération conduit la société détentrice des titres à exercer un contrôle direct des actifs et des passifs de la société dont les titres ont été annulés.

 

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 Le regard de nos experts

Dans cette affaire, le Conseil d’État se prononce sur la qualification de titres dans le cas particulier d’une augmentation de capital suivie à court terme d’une transmission de patrimoine. Plus précisément, une société mère procède à la recapitalisation de deux de ses filiales qui, moins de deux ans après l’opération, font l’objet d’une fusion-absorption pour l’une (filiale française) et d’une dissolution-liquidation pour l’autre (filiale polonaise), les deux opérations emportant transmission de l’intégralité du patrimoine des filiales à la société mère.

Rappelons que comptablement, la qualification de titres de participation est fondée sur le critère de l’utilité, caractérisée notamment par l’exercice d’un contrôle ou d’une influence, et doit être appréciée selon l’intention de l’acquéreur à la date d'acquisition des titres. S’agissant de cette qualification, la connexion fiscalo-comptable est forte et, en vertu des dispositions de l’article 219, I a-ter du CGI, la qualification de titres de participation, une fois retenue sur le plan comptable, produit en principe pleinement ses conséquences sur le plan fiscal.

Se pose alors la question de l’appréciation de l’intention de l’acquéreur dans l’hypothèse d’une augmentation de capital réalisée au profit d’une filiale. La qualification des nouveaux titres suit-elle nécessairement celle des titres d’origine ?

Confirmant le principe de connexion fiscalo-comptable en matière de qualification des titres, le Conseil d’État a, dans la présente affaire, saisi pour avis l’Autorité des normes comptables (« ANC »).

Le Conseil d’Etat avait déjà saisi l’ANC par le passé, dans le cadre de la qualification de titres issus de la recapitalisation d’une filiale appartenant au secteur bancaire (affaire « Crédit Agricole SA »). Il avait jugé, en s’appuyant sur l’avis de l’ANC, que les nouveaux titres ne suivent pas systématiquement la qualification de titres de participation retenue pour les titres initiaux. La référence expresse de l’arrêt aux « limites autorisées par la réglementation comptable applicable aux entreprises du secteur bancaire », a eu pour effet de restreindre la portée de sa position à ce secteur (CE 8 novembre 2019 n° 422377, voir aussi BOI-BIC-PVMV-30-10 n° 98). 

La possibilité de classer une même ligne de titres dans plusieurs catégories n’est effectivement envisagée que par la seule réglementation comptable spécifique au secteur bancaire, le Plan Comptable Général ne prévoyant pas expressément une telle faculté (sauf pour les actions propres). En conséquence, dans le secteur industriel et commercial, les titres émis dans le cadre d’une augmentation de capital (de même que tout lot complémentaire de titres nouvellement acquis), devraient en général être classés dans la même catégorie que les titres initiaux. Il existe, en effet, en pratique, une forme de présomption de qualification des nouveaux titres identique à celle des titres d’origine, l’acquéreur ayant en principe, sauf circonstance exceptionnelle, une intention unique liée à l’utilité procurée par les titres d’une même société.

Dans la présente affaire, les requérants invoquaient la transposition de la jurisprudence « Crédit Agricole SA » à l’ensemble des entreprises soumises au Plan Comptable Général. Mais, comme le relève la rapporteure publique Céline Guibé dans ses conclusions, une telle transposition n’allait pas de soi, n’étant ni mécaniquement commandée, ni pour autant exclue par l’arrêt « Crédit Agricole SA ».  Dans ces conditions, le Conseil d’État a choisi de solliciter à nouveau l’ANC.

Il ressort des conclusions de Céline Guibé que l’ANC, dans son avis ajusté à la configuration du litige, a estimé que la présomption de classement en titres de participation des nouveaux titres acquis, confirmée par le classement initial de ces titres, ne saurait être renversée par le fait que ces filiales aient été absorbées ou liquidées moins de deux ans après, puisque ces opérations montrent l’intention manifeste d’exercer une influence sur les sociétés émettrices ou d’en assurer le contrôle, dès lors que par voie de fusion ou de liquidation, la société détentrice des titres exercera le contrôle direct des actifs et passifs des filiales

La rapporteure souligne que le raisonnement de l’ANC repose sur la présomption de classement des titres nouveaux dans la même catégorie que les anciens titres, sans qu’il ne soit possible de savoir si cette mention se rattache à la présomption générale applicable en cas de détention d’une fraction de capital supérieure à 10 % ou à une présomption ad hoc d’une continuité de traitement comptable qui pourrait également avoir sa logique. En dépit de cette incertitude, la rapporteure publique, partageant la position de l’ANC, estime que le double critère d’utilité et de possession durable est rempli au cas d’espèce, « fût-ce dans la perspective d’une mutation des modalités de contrôle, de celui d’un actionnaire unique à un contrôle direct des actifs de la filiale ». 

Suivant Céline Guibé, le Conseil d’Etat se range à la position de l’ANC et juge, tout en s’abstenant de prendre une position générale, que les critères de qualification d’un contrôle sont remplis à la date d’acquisition des nouveaux titres. Il confirme donc la qualification de titres de participation retenue par la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 23 novembre 2022, n° 21PA05210).  

Qu’en est-il des recapitalisations réalisées par les entreprises industrielles et commerciales dans d’autres circonstances, notamment en cas de cession ultérieure des titres de la filiale ?

Pour répondre à cette question, l’administration fiscale a indiqué que les titres reçus lors de la recapitalisation d'une filiale, effectuée en vue de sa cession à plus ou moins brève échéance ont la même nature (de titres de participation) que les titres d’origine dans la mesure où un projet de cession ne constitue pas en soi un événement susceptible de remettre en cause l'intention ayant présidé à l’acquisition initiale (BOI-BIC-PVMV-30-10 n° 98).   

La solution rendue par le Conseil d’État ne saurait toutefois présumer en toutes circonstances de la qualification des titres issus d’une recapitalisation. Cette décision étant propre au cas spécifique en litige, la question doit être considérée comme réservée par le Conseil d’État et comme relevant d’une appréciation circonstanciée. 

Il ressort en effet des conclusions sous l’arrêt que Céline Guibé, tout en proposant l’alignement du Conseil d’Etat sur l’analyse de l’ANC, suggère aussi de ne pas étendre la portée de cette analyse à l’ensemble des cas de recapitalisation d’une filiale en difficulté en vue de sa cession à un tiers. Elle ajoute à cet égard : « Nous nous permettrons uniquement de relever, à ce stade, que les constats qui ont conduit l’ANC à conclure à la qualification de titres de participation dans la configuration de l’espèce, ne sont pas nécessairement remplis lorsqu’est en cause une recapitalisation opérée en vue de la vente des titres à un tiers, puisqu’il n’y a, alors, plus de volonté de continuer à exercer le contrôle de la filiale ou de ses actifs dans la durée ».  

Toutefois, dans la majorité des cas, l’application du principe de connexion fiscalo-comptable devrait conduire à une qualification unique des titres, en corrélation avec une même intention lors des différentes acquisitions. En ce sens, un arrêt tout récent de la Cour administrative d’appel de Paris juge que les titres émis par une société ne peuvent recevoir une qualification comptable différente de celle des titres émis antérieurement par cette même société, dès lors qu'à la date de leur souscription, l'acquéreur entend conserver le contrôle de la société jusqu'à sa disparition, par absorption ou par liquidation, ou jusqu'à la cession du contrôle à un tiers (CAA Paris, 11 octobre 2024, n° 22PA04107). 

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Paris étend son considérant de principe à la perspective de la cession du contrôle à un tiers, reprenant d’ailleurs à l’identique le considérant de son arrêt précité du 23 novembre 2022, rendu dans le cadre de l’affaire Agapes. Si la portée de cette précision doit selon nous être nuancée à la lumière des conclusions précitées de Céline Guibé, il n’en demeure pas moins que le traitement différencié de nouveaux titres émis à l’occasion d’une recapitalisation ne devrait s’avérer possible que dans certains cas, rares en pratique, et en lien, par exemple, avec un changement de stratégie majeur et structurant, remettant en cause l’intention initiale de la société détentrice des titres (en ce sens, voir la position développée dans le Mémento Comptable, Ed. Francis Lefevre, n° 35185).

Signalons enfin que des travaux devraient prochainement être initiés par l’ANC sur les questions afférentes à la qualification des titres de participation. 

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Bénédicte le Maux

Bénédicte le Maux

Associée Audit, PwC France et Maghreb

Marie-Hélène Pinard-Fabro

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Avocat, Of Counsel , PwC Société d'Avocats

Alice  Benhamou-Chocron

Alice Benhamou-Chocron

Senior Manager, PwC Société d'Avocats

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