Transfert de déficits sur agrément : divisibilité de la demande de transfert des déficits

Le Conseil d’État juge que la demande de transfert des déficits présente un caractère divisible. L'ensemble des éléments caractérisant l'activité de la société au cours de la période et le contexte économique doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un changement significatif d’activité.

CE 17 octobre 2023 n° 464667, Sté Metalic, mentionné au recueil Lebon

En 2013, la société A acquiert la totalité du capital social de la société B. En 2015, elles sont toutes deux placées en redressement judiciaire, à l’issue duquel un plan de continuation est adopté. En 2017, à l’occasion de la dissolution sans liquidation de la société B, placée sous le régime de faveur de l’art. 210 A du CGI, la société A demande le bénéfice de l’agrément prévu l’art. 209, II du CGI pour le transfert de certains déficits reportables constatés et non encore déduits de la société B.

L’administration refuse la demande de transfert de déficits.

Le Tribunal Administratif puis la Cour Administratif d'appel rejettent la demande de la société A tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus de l’administration en relevant que : 

  • la production vendue par la société B a subi une baisse significative passant de 1,6 M€ au terme de l'exercice clos en 2011 à 288 000 € au terme de l'exercice clos en 2016 

  • les effectifs de la société ont également chuté significativement passant de 25 personnes à la clôture de l’exercice 2011, à seulement 7 personnes à la clôture de l’exercice 2016.

Ndlr : devant les juges du fond, si la société requérante réclamait à titre principal le transfert des déficits réalisés en 2011, 2014 et 2015, elle demandait à titre subsidiaire que lui soit accordé le transfert des seuls déficits réalisés en 2014 et 2015. La CAA rejette l’argumentation subsidiaire de la société en se fondant sur l’absence de divisibilité de la demande de transfert.

Le CE :

  •  rappelle qu’il résulte du b du II de l'art. 209 du CGI que : 
    • la condition qu'il énonce tient à ce qu'examinée pour elle-même, l'activité transférée à la société absorbante n'ait pas fait l'objet de changement significatif pendant la période au titre de laquelle ont été constatés les déficits dont le transfert est demandé ;
    • la période sur laquelle est appréciée cette condition s'étend de l'exercice de naissance des déficits en cause jusqu'à celui au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert ;
  • énonce qu’eu égard aux conditions et modalités d'exercice de l'activité transférée durant cette période : 
    • l'agrément peut toutefois être accordé par l'administration pour une fraction seulement des déficits dont le transfert est demandé ;
    • le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une argumentation en ce sens, peut annuler un refus d'agrément en tant seulement qu'il refuserait le transfert d'une fraction des déficits concernés ;
  • juge que la CAA a commis une erreur de droit :
    • en se fondant sur les seuls critères de baisse de chiffre d’affaires et d’effectifs pour juger que celles-ci étaient constitutives d'un changement significatif de l'activité de la société absorbée au sens de l'art. 209, II, b du CGI, 
    • sans prendre en compte l'ensemble des éléments caractérisant l'activité de la société au cours de la période et le contexte économique dans lequel ces évolutions en termes de chiffre d'affaires et d'effectifs s'inscrivaient.

Jugeant ensuite l’affaire au fond le CE annule la décision de refus d’agrément de transfert des déficits aux motifs que : 

  • la diminution très importante du chiffre d'affaires et de l'effectif salarié résultait de la réorganisation de l'activité industrielle de la société B autour des clients les plus rentables afin de maintenir l'activité en période de crise, 

  • durant cette période, les moyens d'exploitation sont restés stables et les emplois maintenus, très spécialisés, ont permis la poursuite de l'activité de fonderie gravitaire en coquille jusqu'à ce jour. 

Il en déduit que dans ces conditions, les évolutions en termes de chiffre d'affaires et d'effectif de la société B, destinées à assurer, par la réorganisation de l'entreprise, la continuation du cœur de son activité économique ne sauraient caractériser un changement significatif de l'activité au sens des dispositions du b du II de l'art. 209 du CGI.

Découvrir l'arrêt 

Le regard de nos experts

Cette décision, mentionnée au Recueil Lebon, apporte de nouvelles précisions sur le transfert de déficits par agrément, en ce qui concerne l’appréciation du critère du changement significatif d’activité, mais aussi, et de manière inédite, sur le caractère divisible d’une telle demande.

Pour rappel, la loi de finances rectificative pour 2012 a modifié les dispositions de l’article 209, II du CGI, qui permet le transfert des déficits de la société absorbée par voie d’agrément à la société absorbante, en ajoutant aux conditions déjà existantesune condition, mentionnée au b) de cet article,  de stabilité passée de l’activité de la société absorbée,  : « l’activité à l’origine des déficits dont le transfert est demandé [ne doit pas avoir] fait l’objet par la société absorbée (…), pendant la période au titre de laquelle ces déficits (…) ont été constatés, de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d’emploi, de moyens d’exploitation effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d’activité ».

S’agissant de l’existence ou non d’un changement significatif d’activité, la présente décision fait écho à l’orientation générale de la jurisprudence qui retient une lecture finaliste des dispositions de l’article 209, II du CGI. En effet, comme le rappelle la rapporteure publique dans ses conclusions sous la présente décision, l’objectif du législateur lors de l’introduction de cette nouvelle condition de stabilité de l’activité était avant tout de chercher à limiter les possibilités d’utilisation des déficits à des fins d’optimisation fiscale en s’assurant que les déficits dont le transfert est demandé n’ont pas été créés volontairement au travers d’un changement de l’activité de la société.

C’était d’ailleurs l’argument de la société qui soutenait que la baisse de son chiffre d’affaires et de ses effectifs n’avait pas pour objectif de créer un déficit mais était le résultat des mesures prises, dans un contexte économique difficile, pour tenter d’assurer le maintien de son activité, ce qui au cas particulier s’avéra efficace. 

Dans ce cadre, la décision doit être rapprochée de la décision Société Alliance Négoce (CE 2 avril 2021 n° 429319) par laquelle le Conseil d’État a jugé que la diminution de l’emploi et des moyens d’exploitation (matériels) d’une entreprise ne suffit pas, à elle seule, à caractériser l’existence d’un changement significatif lorsqu’elle est destinée à assurer le maintien du volume de l’activité à l’origine des déficits. 

Comme le souligne opportunément  la rapporteure publique, Céline Guibé, dans ses conclusions sous la présente décision, il ressort des travaux préparatoires que la liste fixée par l’art. 209, II, b des éléments à prendre en compte pour apprécier l’existence ou non d’un changement significatif d’activité est « expressément non exhaustive et ne doit pas constituer un carcan qui briderait l’appréciation de l’administration, et du juge de l’impôt à sa suite, en présence d’une opération sur laquelle ne pèserait aucun soupçon d’optimisation ».

Or, les évolutions observées en l’espèce dans l’activité de la société s’inscrivaient dans un contexte général de crise du secteur de la fonderie en France, auquel la société absorbée a fait face en concentrant son activité sur le segment de sa clientèle la plus rentable, d’où la chute de son chiffre d’affaires et de ses effectifs. On notera en revanche que dans ce contexte la société avait maintenu ses moyens matériels d’exploitation.

Le Conseil d’État en a ainsi déduit que les évolutions en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs de la société absorbée étaient destinées à assurer la continuation du cœur de son activité économique et ne sauraient caractériser un changement significatif de son activité.

S’agissant du caractère divisible de la demande d’agrément pour le transfert des déficits, le Conseil d’État se prononce sur une question inédite.  

En l’espèce, après avoir initialement demandé le transfert de l’ensemble des déficits dégagés au titre des années 2011, 2014 et 2015, qui lui a été refusé, la société demandait à titre subsidiaire, devant les juridictions administratives, que le transfert soit, en tout état de cause, admis au titre des seuls déficits dégagés en 2014 et 2015. Il est probable qu’à l’examen des critères retenus par les autorités fiscales pour considérer qu’un changement d’activité était intervenu et pour rejeter en conséquence sa demande de transfert des déficits (i.e. baisse du chiffre d’affaires et des effectifs sur la période 2011- 2017), la société considérait que l’application de ces mêmes critères sur une période plus réduite aboutissait à une analyse différente2

Les juridictions du fond n’ont toutefois pas fait droit à cette demande subsidiaire en arguant du fait que le transfert des déficits est indivisible et qu’il ne peut donc porter que sur l’intégralité du stock des déficits reportables sans qu’il soit possible, au choix du contribuable, de découper la période au cours de laquelle des déficits sont nés pour apprécier la stabilité de l’activité de la société. 

La solution dégagée par le Conseil d’État qui infirme la position des juges du fond, selon laquelle l'agrément peut être accordé pour une fraction seulement des déficits dont le transfert est demandé, s’inscrit dans le droit-fil de la décision ID Espace (CE, 9 juin 2020 n° 436187) qui a statué sur la question de la période sur laquelle il faut apprécier la condition de stabilité de l’activité, notamment en cas d’exercices bénéficiaires faisant suite à plusieurs exercices déficitaires, sans toutefois se prononcer sur l’appréciation de cette condition au titre de plusieurs périodes distinctes, selon l’exercice de naissance des différents déficits constatés. On notera qu’en l’espèce, le CE jugeant l’affaire au fond fait droit à l’argument de la société selon lequel il n’y a pas eu de changement significatif d’activité sur l’ensemble de la période concernée, sans se prononcer sur sa demande subsidiaire visant à apprécier l’évolution de l’activité sur les deux exercices les plus récents.

Selon la rapporteure publique, la position de la Cour qui nie le caractère divisible de la demande n’est pas conforme à l’économie du dispositif, dont l’objet est de faciliter les restructurations d’entreprises. En outre rien dans le texte de l’article 209, II, b du CGI ne semble faire obstacle à une sélection des déficits dont le transfert est demandé. Au contraire d’après elle, la référence dans le texte aux « déficits dont le transfert est demandé », paraît ouvrir la voie à une sélection des déficits sur lesquels porte la demande de transfert. 

Elle souligne même le fait que les règles formelles de dépôt des demandes d’agrément permettent en pratique un examen sélectif, permettant d’apprécier la réalité du changement d’activité au cours des différentes périodes.

Cette décision devrait permettre aux contribuables de contester utilement un refus d’agrément devant les juridictions administratives. 


[1] Les autres conditions étant que l’opération soit justifiée du point de vue économique, qu’elle obéisse à des motivations autres que fiscales et que l’activité à l’origine des déficits soit maintenue pendant une période de trois ans après l’opération. 

[2] Il semble en effet résulter des indications figurant dans les conclusions que la baisse du volume du chiffre d’affaires et la baisse des effectifs sont intervenus majoritairement au titre de la période antérieure à 2014. Les changements constatés entre 2014 et 2017 étaient mineurs par rapport à ceux constatés antérieurement. 

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Valérie Aelion

Valérie Aelion

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

Charlotte Guincestre Carpentier

Charlotte Guincestre Carpentier

Fiscaliste, Département Doctrine, PwC Société d'Avocats

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