La durée du pacte d’actionnaires peut correspondre à la durée de vie de la société

15/03/23

Arrêt Cass. 1ère Civ. 25 janvier 2023 pourvoi n°19-25.478 publié au bulletin

Aux visas de l’alinéa 1er de l’article 1134[1] du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et de l’article 1838[2] du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 17 octobre 2019 seulement en ce qu’il avait déclaré régulière la résiliation du pacte d’actionnaires. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait considéré que la durée du pacte qu’elle qualifiait d’excessive, confisquait toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés et ouvrait ainsi aux parties la possibilité de résilier ce pacte de manière unilatérale. En l’espèce, le pacte d’associés entre un père et ses cinq enfants avait été conclu pour la durée de la société et au terme de cette première période était renouvelé automatiquement et tacitement pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement toute partie pouvait dénoncer le pacte pour ce qui la concerne en notifiant sa décision au moins six mois à l’avance aux autres parties. Il était également prévu que le pacte lie et bénéficie aux héritiers, aux légataires, ayant droit, ayant cause de chacune des parties et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux. La Cour de Cassation retient qu’« il résulte de la combinaison de » l’alinéa 1 de l’article 1134 du Code civil et l’article 1838 « que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».

Ainsi, la Cour de cassation valide les pactes d’associés dont la durée correspond à la durée de vie de la société soit 99 ans, laquelle peut faire l’objet d’une prorogation, ce qui allongerait d’autant la durée du pacte calée sur celle de la société. Cette solution valide également les clauses qui précisent que le pacte recevra application tant que les signataires ou les parties conservent la qualité d’associé (qui correspond au maximum à la durée de vie de la société).

Cette solution avait déjà été admise dans le cadre d'un droit réel de jouissance spéciale qui avait été concédé pour la durée d'une fondation. La Cour avait considéré qu'il y avait bien un terme à cet engagement et qu'il n'était donc pas perpétuel[3].

En revanche, cette validation n’avait jamais été affirmée auparavant par la jurisprudence en ce qui concerne les pactes d'associés. Au contraire, de nombreuses décisions venaient illustrer la prohibition des engagements perpétuels. A titre d'exemples, la Cour de cassation validait la résiliation unilatérale d'un protocole ne mentionnant aucune limitation de durée et ne comportant aucun terme déterminé ni déterminable, la Cour considérant que l'engagement pris par les parties était à durée indéterminée et par conséquent résiliable unilatéralement[4]. Dans un autre arrêt, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la résiliation unilatérale d'un pacte d'actionnaires précisant qu'il s'appliquerait aussi longtemps que les parties au pacte ou leurs substitués demeureraient ensemble actionnaires[5]. L'arrêt du 25 janvier 2023 constitue ainsi un revirement de jurisprudence. Il est à noter que l’arrêt de la Cour d’appel, dans cette affaire, ne s’est pas explicitement fondé sur le concept d’engagements perpétuels contrairement à l’arrêt de la Cour de cassation, mais a appliqué toutes les conséquences qui résultent de la qualification de contrat à durée indéterminée.

En pratique, afin d’éviter tout risque de voir les obligations souscrites au titre des pactes d’associés, être rendues inefficaces sur le fondement de la prohibition des engagements perpétuels, les conseils recommandaient à leur client de limiter la durée du pacte à un maximum de dix ou quinze ans. Dès lors, l’importance et l’utilité de cet arrêt ne fait pas de doute en ce qu’il va permettre de prévoir que les obligations prises par les associés durent toute la durée de vie de la société.

En outre, la combinaison des deux articles visés rend la solution cohérente. En effet, les engagements des associés dans les statuts pourront être alignés en termes de durée avec ceux pris dans le contrat accessoire au pacte social, mais non moins important, qu’est le pacte d’associés. L’intérêt de cette décision est patent dans les entreprises familiales ou a fort intuitu personae où la permanence des engagements accroit la maîtrise et le verrouillage du capital social de ces sociétés ainsi que la transmission du patrimoine.


[1] Article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

[2] Article 1838 du Code civil : « La durée de la société ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans. »

[3] Civ. 3e, 8 sept. 2016, n° 14-26.953

[4] Com. 20 déc. 2017, n° 16-22.099

[5] Com. 6 nov. 2007, n° 07-10.620

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Delphine Bry-Durousseau

Delphine Bry-Durousseau

Avocat, Directrice, PwC Société d'Avocats

Guilhem de Courson

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Avocat, Senior Associate, PwC Société d'Avocats

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