16/11/20
Dans le prolongement de l’article 153 de la Loi de Finances pour 2020, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) vient de remette au Parlement, le 3 novembre dernier, son Rapport sur le développement de la facturation électronique en France : « la TVA à l’ère du digital en France ».
Dans un objectif de lutte contre la fraude à la TVA et sous l’impulsion de réformes internationales en matière de contrôle périodique et continu des transactions (modèles CTCs : « Continuous Transaction Controls »), le gouvernement français, au travers de l’article 153 de la Loi de Finances pour 2020, souhaite généraliser la facturation électronique entre assujettis dès 2023/2025.
Le développement de la facturation électronique en France est le fruit d’un long processus initié avec la directive du 13 juillet 20101 (modifiant la directive TVA de 2006). Cette directive pose le cadre de la facturation électronique B2B au sein des pays de l’UE avec comme « préambule » que le recours à ce mode de facturation soit soumis à l’acceptation du destinataire.
Dans le cadre des relations « Privé-Public » (B2G), une généralisation de la facturation électronique a déjà été opérée en France et plus globalement en Europe sous l’égide de la Directive 2014/55/EU.
En ce qui concerne la généralisation de la facturation électronique B2B en France, une nouvelle étape vient d’être franchie avec la remise par la DGFiP au Parlement d’un rapport visant à apporter des précisions sur le dispositif.
Cette généralisation se veut bénéfique aussi bien pour les entreprises que pour l’administration dès lors qu’elle permettrait en tout état de cause :
Le choix de la facturation électronique (e-invoicing) complétée par une transmission des données de facturation (ou « e-reporting ») : un modèle « mixte » plébiscité et « gagnant gagnant »
Pour répondre à ces objectifs, le rapport structuré en deux parties (présentation générale et analyse technique), préconise tout d’abord la transmission électronique obligatoire des factures de vente entre le fournisseur et son client par le biais d’une plateforme (ou plusieurs plateformes), pouvant être étatiques ou privées (possiblement certifiées par l’Etat).
Deux schémas/solutions techniques sont présentées :
(1) Directive 2010/45/UE du Conseil du 13 juillet 2010 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne les règles de facturation : seconde Directive Facturation.
A ce stade, le rapport met en avant les nombreuses contraintes inhérentes au modèle en « V » (risque de non-constitutionnalité avec l’instauration d’un monopole étatique pour l’échange de données de facturation, arrêt de la transmission des factures en cas de défaillance du système, …).
Le rapport privilégie clairement le modèle en « Y », plus résilient et plébiscité pour les acteurs, qui offre davantage de souplesse, notamment pour les entreprises qui ont pu déjà mettre en place des flux de facturation électronique (notamment EDI) via des plateformes privées, en ce qu’il limite les coûts d’adaptation et d’entrée dans cette réforme, tout en permettant aussi aux autres assujettis de transmettre directement les factures à la plateforme publique.
Par ailleurs, le rapport souligne également que cette obligation de facturation électronique ne peut s’étendre à l’ensemble des transactions opérées par un assujetti notamment en raison de l’absence d’une harmonisation des règles applicables à la facturation électronique au niveau européen et mondial ainsi que par l’absence d’obligation, sauf exceptions, d’émission de factures dans le cadre de relations B2C.
Ainsi, en vue de lutter efficacement contre la fraude à la TVA, cette obligation devra également s’accompagner d’une obligation de transmission des données (« e-Reporting ») afin de pouvoir couvrir un ensemble de flux plus large et obtenir davantage d’informations indispensables à l’identification du traitement TVA appliqué (paiement des factures, etc.).
L’obligation d’émission de factures électroniques serait limitée aux transactions domestiques réalisées entre assujettis à la TVA (conformément à l’article 256 A du CGI) entrant dans le champ général et territorial des règles de facturation
Par ailleurs, les assujettis étrangers non établis en France ne seraient pas soumis au dispositif de l’article 153.
Des aménagements et précisions seront également attendus pour les secteurs d’activités spécifiques actuellement prévus par la doctrine tels que le secteur bancaires et financier, les travaux immobiliers ou encore les micro-entrepreneurs.
Concernant les mentions sur facture, l’ensemble des mentions fiscales prévues à l’article 242 nonies A de l’annexe II au CGI devra apparaitre sur les factures ainsi que les mentions commerciales obligatoires actuellement prévues par le Code de commerce.
Cependant, pour les besoins de la lutte contre la fraude, d’autres données devront obligatoirement figurer dans la facture notamment l’identifiant de l’acheteur (correspondant au numéro SIREN). Ainsi, un changement du cadre législatif devra être anticipé par le législateur.
S’agissant d’autres informations supplémentaires, notamment « mentions métiers » (mode de livraison, ou encore incoterm, codes TVA, fonctions partenaires, etc.), ces dernières ne devraient pas être rendues obligatoires, même si souvent jugées pertinentes pour la détermination des règles TVA des transactions.
Tout d’abord, si le rapport mentionne que les assujettis non établis en France ne seraient pas soumis au dispositif de l’article 153, celui-ci ne mentionne pas explicitement les assujettis qui seraient, ou ne seraient pas concernés, par cette solution complémentaire de e-reporting.
Dans le cadre de cette obligation connexe, le rapport identifie trois catégories de données complémentaires :
En ce qui concerne ce dernier point, il parait important de noter qu’à certaines occasions le rapport aborde également l’obligation de déclarer les informations liées à certains flux achats, notamment les importations. Le champ d’application de cette obligation devra donc être précisé par le Gouvernement.
Avec pour objectif de préserver l’utilisation des solutions d’échanges de factures actuelles, la plateforme Chorus Pro (déjà testée par l’AIFE de janvier à juin 2020) sera retenue comme l’outil pertinent au travers duquel transitera l’ensemble des données des échanges entre entreprises en vue de leur transmission au SI de la DGFiP. Toutefois, le recours à la plateforme Chorus Pro nécessitera certaines adaptations (ergonomie, fonctionnalités de communication, de déclaration et de gestion des entreprises et de leurs utilisateurs, modalités d’interfaçage, capacité à encaisser les volumes importants en B2B, etc.).
A l’instar de ce qui a été fait pour le déploiement de la plateforme Chorus Pro pour les factures B2G, et pour prendre en compte les impacts qu’une telle réforme devrait avoir sur les entreprises, la mise en œuvre de l’obligation de facturation électronique sera étendue dans le temps :
Tout d’abord, la DGFIP rappelle dans un premier temps que la Commission européenne, dans le cadre de son plan d’action adopté le 15 juillet 2020, a commencé des travaux portant sur la transmission des données des transactions ainsi que sur le développement de la facturation électronique dans le cadre des échanges B2B.
Elle précise toutefois que ces travaux ne devraient pas aboutir à brève échéance (pas avant 2026/2027) et que la généralisation de la facturation électronique en France est menée en vue d’une adaptation facile dans le dispositif européen qui pourrait être adopté.
Aussi, il est précisé que la réforme de l’article 153 ne devrait pas induire de changements majeurs dans la réglementation fiscale actuelle, notamment s’agissant des points suivants :
Les modifications législatives anticipées porteraient essentiellement sur :
En ce qui concerne l’obligation de documentation Piste d’Audit Fiable (PAF) au sens de l’article 289 VII 1° du CGI, la DGFIP précise que la mise en œuvre de l’obligation de facturation électronique ne saurait dispenser automatiquement les assujettis de cette obligation et reste pertinente. La PAF est donc maintenue et constituera toujours un atout important pour les entreprises dans leur relation vis-à-vis de l’administration fiscale en cas de contrôle.
Par ailleurs, la DGFIP rappelle l’obligation d’obtention de dérogations à certains principes directeurs énoncés actuellement par la Directive TVA (via l’article 395) et détaille également les différents travaux réglementaires à mener en vue d’une mise en conformité de la législation fiscale française. La mise en œuvre du Projet 2023 devra être réalisée dans le respect des règles du système commun de la TVA défini par la directive TVA (caractère nécessaire et proportionné des dérogations demandées et motivation d’absence de solutions alternatives dans le cadre du droit actuel).
Enfin, le rapport souligne les obligations des différentes parties (plateforme publique, plateformes privées, etc.) au regard des données sensibles et à caractère personnel, notamment en ce qui concerne la conformité au RGPD.
Le rapport de la DGFIP constitue une avancée primordiale dans la mise en place d’une solution de facturation électronique obligatoire pour les entreprises françaises.
Néanmoins, de nombreux points restent en suspens et devront être précisés au cours des prochains mois avec l’ensemble des acteurs, notamment :
L’ensemble de ces points feront, dans les mois à venir, l’objet d’ateliers de travail avec l’ensemble des parties prenantes afin d’aboutir à un modèle mixte remportant le plus large consensus possible.
Enfin, ce rapport souligne la prise en compte des prochaines évolutions au niveau communautaire puisque la Commission Européenne a initié des travaux concernant la transmission des données des transactions par les entreprises (avec le développement de la facturation électronique) dans le cadre de son plan d’action adopté le 15 juillet 2020 pour une fiscalité équitable et simplifiée.
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Il est souligné qu’à la suite du rapport, un amendement (II-3211) au PLF 2021 du 6 novembre a également été publié et adopté en date du 13 novembre, au terme duquel le gouvernement propose d’agir par voie d’ordonnance au plus tard en septembre 2021 afin de :