24/09/21
En parallèle de l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant réforme du Livre VI du Code de commerce et son décret d’application n° 2021-1218 du 23 septembre 2021 sont venus modifier assez sensiblement les règles applicables aux procédures d’insolvabilité. Les nouvelles mesures seront applicables dès le 1er octobre 2021.
La présente ordonnance réforme ainsi le droit des entreprises en difficulté. Elle transpose tout d’abord la directive « restructuration et insolvabilité » (telle que modifiée par la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019) et vise ensuite, à simplifier le régime des sûretés et à renforcer la situation des créanciers titulaires de sûretés (même si sur ce point on peut en douter à la lecture de l’ordonnance) dans le cadre des procédures du Livre VI du Code commerce, tout en assurant la préservation de l’équilibre des intérêts en présence. Enfin, l’ordonnance pérennise certaines des mesures prises pendant la crise sanitaire.
Les principales nouveautés résultent de la transposition de la directive « restructuration et insolvabilité », même si le choix a été fait de ne pas bouleverser l’architecture générale du droit des entreprises en difficulté. La réforme s’appuie sur une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée qui constitue le pivot du cadre de restructuration préventif, tel que prévu par la directive.
La sauvegarde accélérée et la sauvegarde financière accélérée sont regroupées en une seule procédure. Le nouveau texte prévoit néanmoins la possibilité de circonscrire les effets de cette procédure de sauvegarde accélérée aux seuls créanciers financiers. La durée de cette nouvelle procédure de sauvegarde accélérée est limitée à 4 mois maximum et est ouverte à toutes les entreprises quelle que soit leur taille. La procédure de conciliation reste un préalable nécessaire à ce que le débiteur puisse demander l’ouverture de la procédure de sauvegarde accélérée. Sont mises en place dans le cadre de cette nouvelle sauvegarde accélérée des « classes de parties affectées », autre innovation de l’ordonnance et qui se substituent aux comités de créanciers. L'ouverture d'une procédure de sauvegarde accélérée ne produit d'effet qu'à l'égard des parties affectées par le projet de plan.
L’instauration de classes de créanciers, et plus précisément de « parties affectées », est la grande innovation de cette ordonnance. Les classes de parties affectées remplacent les comités de créanciers. Cette mise en place des classes de parties affectées s'applique, quelle que soit la taille de l'entreprise concernée, en sauvegarde accélérée et, sous certaines conditions, soit en raison de la taille du débiteur (250 salariés et 20 millions de CA net ou 40 millions de CA net), soit à sa demande, en sauvegarde non accélérée et en redressement judiciaire.
Ces classes de parties affectées sont déterminées en fonction d’un critère de « communauté d’intérêts économiques », justifiant que des créanciers – dont les droits sont affectés par le projet de plan de sauvegarde ou de redressement – soient regroupés au sein d’une même classe. Cette répartition des créanciers en classes de parties affectées est laissée à l’appréciation de l’administrateur judiciaire mais elle doit reposer sur des critères objectifs vérifiables et doit, toutefois, respecter trois critères impératifs : les créanciers titulaires de sûretés réelles portant sur les biens du débiteur pour leurs créances garanties, et les autres créanciers doivent être répartis dans des classes distinctes ; les accords de subordination doivent être respectés ; les détenteurs de capital, s'ils sont affectés, par le projet de plan, sont appelés à voter au sein d'une ou plusieurs classes. Apparait ainsi en filigrane de ces trois critères impératifs, une ébauche de structuration de classes de créanciers en fonction de leur rang, allant du rang le plus élevé (titulaires de sûretés) au rang le plus bas (les détenteurs de capital qui sont sous cet angle, des créanciers « hypo-chirographaires » ou « super-subordonnés »).
Les différentes classes de parties affectées votent chacune sur le projet de plan qui leur est présenté à la majorité des 2/3 des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote. A noter que les classes de parties affectées ne peuvent pas présenter de plan concurrent en procédure de sauvegarde, contrairement à ce qui est prévu en procédure de redressement judiciaire (et à ce qui était prévu en procédure de sauvegarde avec comités de créanciers).
Si le plan est adopté par les différentes classes, le tribunal devra avant d’adopter le plan (de sauvegarde ou de redressement) vérifier que certaines conditions sont remplies :
En revanche si une ou plusieurs classes de parties affectées n’adoptent pas le plan, le débiteur ou l’administrateur judiciaire en accord avec le débiteur peut demander d’arrêter le plan et de l’imposer aux classes dissidentes.
Toutefois, pour ce faire, plusieurs conditions doivent être remplies :
Sous cet angle, les droits des créanciers dissidents subissent (avec néanmoins un contrôle renforcé du tribunal) une atteinte en vue de permettre l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de redressement. Toutefois, pour d’autres aspects, la présente ordonnance renforce les droits des créanciers.
Les nouvelles mesures instaurent un privilège de sauvegarde et un privilège de redressement. Ce privilège est octroyé à ceux qui octroient un nouvel apport de trésorerie au débiteur pendant la période d’observation (avec autorisation du juge-commissaire et publicité de la décision) ainsi qu’à ceux qui s’engagent à effectuer un tel apport dans le cadre de l’exécution du plan. Ce privilège s’applique tant dans la procédure de sauvegarde que de redressement judiciaire. Enfin, diverses mesures sont destinées à rendre plus lisible le régime des sûretés dans le cadre des procédures du Livre VI du Code de commerce. Ce qui fait le lien d’ailleurs avec l’ordonnance n° 2021-1192 relative à la réforme des sûretés.
Un certain nombre de mesures visées dans l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 sont destinées à rendre plus lisibles et plus cohérentes les règles applicables aux sûretés et dans les procédures du Livre VI du Code commerce. Ainsi, le sort des garants (personnes physiques et personnes morales) est amélioré en procédure de conciliation, dans la mesure où ils bénéficieront plus facilement des délais de grâce accordés au débiteur, ce qui correspond à la logique du 2e alinéa du nouvel article 2298 du Code civil.
La caution ou le garant personne physique voit sa situation s’améliorer en procédure de redressement judiciaire, puisqu’il bénéficiera de l’arrêt du cours des intérêts et pourra se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée (ce qui bénéficie aussi au garant personne physique en procédure de sauvegarde). Par ailleurs, tous les garants de la dette d’autrui pourront déclarer leurs créances pour la préservation de leurs recours personnels, avant paiement ou avant que ces garants aient été appelés en garantie.
A noter aussi que les bénéficiaires de sûretés réelles pour autrui vont se voir appliquer la règle de l'arrêt et de l'interdiction des procédures d'exécution dans la procédure collective du constituant, mesure qui vient neutraliser une jurisprudence de 2020 qui avait fait beaucoup de bruit [1].
Il est aussi prévu en période d’observation (en procédure de sauvegarde ou de redressement), que le juge-commissaire puisse autoriser la constitution de toute sureté réelle conventionnelle et non plus la liste limitative qui était initialement prévue à l’article L622-7 II du Code de commerce.
En cas de vente d'un bien grevé d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque au cours de la période d'observation, la quote-part du prix correspondant aux créances garanties est versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations. Sont désormais concernés plus généralement les biens grevés d'une sûreté réelle spéciale ou d'une hypothèque légale.
Enfin, la mesure la plus importante en lien avec la réforme du droit des sûretés, est l’interdiction de tout accroissement de l’assiette de toute sûreté réelle conventionnelle ou d’un droit de rétention conventionnel postérieurement au jugement d’ouverture (C. com. art. L. 622-21). Cela va concerner le nantissement de compte-titres, mais aussi les cessions de créances futures, notamment celles résultant de contrats à exécution successive (que ce soit dans le cadre d’une cession de créance de droit commun à titre de garantie, d’une fiducie-sûreté ou d’un nantissement de créance future, seule la cession Dailly réalisée en exécution d’un contrat-cadre échappant à cette neutralisation). En effet, en droit commun, ces opérations produisent leurs effets immédiatement, dès la date de l'acte de cession ou de nantissement, même si la créance sur laquelle elles portent ne naît qu'ultérieurement. Il a été considéré que l'application de cette solution en procédure collective était inopportune et faisait obstacle à la poursuite de l'activité de l'entreprise, alors privée d'une partie de sa trésorerie. Dès lors, le transfert des créances qui naissent postérieurement au jugement d’ouverture ne sera plus possible. Nul doute que cette mesure ne ravira pas les créanciers qui avaient trouvé avec la cession de créance future une garantie particulièrement efficace.
On le voit cette réforme va impliquer de nombreux changements dans les différentes procédures d’insolvabilité, en ce qui concerne l’organisation des procédures – elles-mêmes – mais aussi le traitement des droits des créanciers. Les acteurs de ces procédures vont devoir s’approprier ces nouvelles mesures.
[1] Cass. Com. 17 juin 2020 (19-13.153) ; Cass. Com. 25 novembre 2020 (19-11.525)