21/06/23
Le Règlement du 31 mai 2023 relatif à la déforestation importée a été publié au JOUE du 9 juin 20231. Il s’inscrit dans le cadre du Pacte Vert, destiné à faire de l’Europe le premier continent neutre pour le climat à l’horizon 2050.
L’objet du règlement est d’interdire la commercialisation des marchandises et produits dérivés de plusieurs matières premières (bovins, cacao, café, palmier à huile, soja et bois ou produits dérivés de ces derniers) si ces matières sont issues de terres déboisées ou de forêts dégradées.
Trois conditions doivent être satisfaites avant que ces produits ne puissent être mis sur le marché de l’UE, mis à la disposition sur le marché de l’UE ou exportés à partir du marché de l’UE :
La diligence raisonnée est une nouvelle obligation que les opérateurs et metteurs sur le marché doivent intégrer dans leurs process.
Le règlement entre en vigueur le 30 juin 2023. Les obligations de diligence raisonnée seront applicables à partir du 30 décembre 2024 et, pour les microentreprises ou les petites entreprises établies au plus tard le 31 décembre 2020, à partir du 30 juin 2025.
Le règlement s’applique à sept produits de base (bovins, cacao, café, palmier à huile, caoutchouc, soja et bois) et aux produits qui contiennent ces produits de base, ou qui ont été nourris ou fabriqués à partir de ces derniers.
La liste complète des produits associés figure en Annexe 1 du règlement et comprend des produits très variés, tels que le cuir, les préparations alimentaires contenant du cacao, les alcools gras industriels, les cadres en bois pour tableau ou les constructions préfabriquées en bois.
Le règlement s’applique à deux catégories de personnes :
Les opérateurs et les commerçants devront mettre en place et tenir à jour un système de diligence raisonnée, qui est un cadre de procédures et de mesures destiné à garantir que les produits dérivés qu’ils mettent sur le marché de l’UE ou exportent à partir du marché de l’UE sont « zéro déforestation » et respectent la législation pertinente.
Les opérateurs et commerçants devront réexaminer le système de diligence raisonnée au moins une fois par an pour tenir compte de nouvelles circonstances susceptibles d’influencer la diligence raisonnée et conserver une trace des mises à jour du système de diligence raisonnée pendant cinq ans.
Chaque année, les opérateurs devront publier, de la manière la plus large possible, leur système de diligence raisonnée et les mesures prises pour se conformer au règlement.2
Un système de diligence raisonnée est déjà prévu par le règlement relatif à la lutte contre l’exploitation illégale des forêts3 pour les opérateurs mettant du bois sur le marché. Ces opérateurs pourront s’inspirer et adapter le système de diligence raisonnée aux nouvelles exigences du règlement.
La diligence raisonnée se déroulera en trois étapes4 :
a. Les opérateurs et les commerçants devront d’abord recueillir plusieurs catégories d’informations :
Ces informations devront être conservées et mises à la disposition des autorités compétentes des Etats membres pendant 5 ans.
b. Ensuite, les opérateurs et les commerçants devront réaliser une évaluation du risque pour déterminer s’il existe un risque que les produits destinés à être commercialisés ne soient pas conformes. Cette évaluation sera réalisée avec plusieurs critères énumérés par le règlement (niveau de risque par pays établi par la Commission (faible, standard ou élevé), présence de forêts dans la zone de production, présence de populations autochtones, source et fiabilité des informations préalablement recueillies, complexité de la chaîne d’approvisionnement, risque de mélange avec des produits d’origine inconnue, etc).
L’évaluation du risque devra être documentée, réexaminée au moins une fois par an et transmise sur demande à la disposition des autorités compétentes des Etats membres. En cas de production dans un pays à niveau de risque faible, l’évaluation complète des risques ne sera pas nécessaire.
c. Les conséquences de l’évaluation du risque :
Il s’agit, selon le règlement, des pratiques en matière de gestion des risques, de modèles, rapports, registres, contrôles internes et gestion de conformité. Un responsable de la conformité au niveau de l’encadrement devra être désigné et les opérateurs qui ne sont pas des PME devront instaurer une fonction d’audit indépendante chargée de vérifier les stratégies, procédures et contrôles internes.
En cas de production dans un pays à niveau de risque faible, l’atténuation des risques ne sera pas nécessaire.
Toutes les procédures et mesures d’atténuation du risque devront être documentées, réexaminées au moins une fois par an et mises, sur demande, à la disposition des autorités compétentes par les opérateurs.
d. Une fois ce processus accompli, les opérateurs et commerçants devront compléter une déclaration de diligence raisonnée, selon le modèle prévu en Annexe 2 du règlement, pour pouvoir commercialiser les produits.
Si les opérateurs ou commerçants sont informés qu’un produit non-conforme au règlement a été mis sur le marché, ils devront alerter immédiatement les autorités compétentes des Etats membres où le produit a été mis sur le marché.
Le règlement prévoit un contrôle par les autorités compétentes désignées par les Etats membres et permet dans une certaine mesure aux tiers de participer au contrôle.
a. Les autorités compétentes des Etats membres devront réaliser des contrôles selon un plan de contrôle annuel qu’elles élaborent, au regard du niveau de risque par pays, des antécédents d’un opérateur ou d’un commerçant en matière de conformité et de toute information pertinente.
Par ailleurs, il est pertinent de penser que ce contrôle sera, au moins en partie, réalisé par les autorités douanières des Etat membres, ces dernières étant en mesure de vérifier aisément les importations et les exportations des produits en cause. Les contrôles douaniers pourront ainsi cibler les opérations douanières selon le pays d’origine (pays à risque, par exemple) ou le classement tarifaire des marchandises afin d’identifier les flux présentant un risque et nécessitant des diligences de la part de l’opérateur metteur sur le marché.
b. Le règlement impose aux autorités compétentes des Etats membres de contrôler chaque année un certain pourcentage d’opérateurs et de commerçants. Ce pourcentage dépendra du niveau de risque des pays de production des produits commercialisés. Ainsi, chaque année, seront contrôlés :
c. Le règlement donne la possibilité pour la société civile de participer au contrôle : les tiers pourront présenter aux autorités compétentes des rapports étayés faisant état de préoccupations lorsqu’elles estiment, sur la base de circonstances objectives, qu’un ou plusieurs opérateurs ou commerçants ne se conforment pas aux dispositions du règlement.
Cette possibilité s’inscrit pleinement dans le cadre plus large du futur devoir de vigilance européen qui prévoit directement dans une législation sectorielle cette intervention des tiers. En principe, les autorités compétentes des Etats membres devront renforcer leurs contrôles pour détecter d’éventuels manquements aux dispositions du règlement.
d. Les contrôles pesant sur les commerçants PME sont allégés, puisqu’ils portent sur leurs seules obligations de recueillir et de conserver les coordonnées des fournisseurs des produits et des personnes auxquelles ils ont vendu les produits.
Le règlement prévoit toute une batterie de sanctions applicables aux opérateurs et commerçants qui ne respecteraient pas les obligations du règlement.
a. Il pourra s’agir, en cas de graves lacunes, de mesures provisoires immédiates, comme la saisie des produits ou la suspension de leur mise sur le marché par les autorités compétentes des Etats membres.
b. Si les autorités compétentes des Etats membres constatent que les opérateurs ou les commerçants n’ont pas respecté leurs obligations au titre de la diligence raisonnée ou qu’un produit n’est pas conforme au règlement, elles exigeront aux opérateurs/commerçants concernés de prendre des mesures correctives appropriées et proportionnées (comme rectifier toute non-conformité partielle, empêcher la mise sur le marché de l’UE, retirer ou rappeler immédiatement le produit en cause ou même de le détruire ou encore en faire un don à des fins caritatives ou d’intérêt public).
c. Dans les hypothèses les plus graves, les autorités compétentes des Etats membres pourront même infliger des amendes pouvant représenter jusqu’à 4% du CA annuel
de l’opérateur ou du commerçant, confisquer des produits et/ou des revenus, prononcer une exclusion temporaire des procédures de passation des marchés publics, etc.
En cas de non-conformité au règlement, les opérateurs et commerçants pourront être contraints par les Etats membres de rembourser la totalité des frais liés aux activités de contrôle.
Le règlement est le premier jalon d’une politique environnementale plus ambitieuse, et certaines de ses obligations pourraient s’étendre à d’autres produits, acteurs et écosystèmes.
Après l’entrée en vigueur du règlement, la Commission devra présenter une analyse d’impact du règlement envisageant l’application de certaines obligations du règlement à d’autres surfaces boisées (prairies, tourbières, zones humides) et à d’autres produits (biocarburants, maïs).
Les obligations de diligence raisonnée pourraient également s’appliquer aux banques. Cette préoccupation s’inscrit dans le cadre du devoir de vigilance, comme l’ont récemment illustré les rapports de plusieurs ONG selon lesquels certaines banques financeraient des activités contribuant à la déforestation, et notamment BNP Paribas, assignée par deux ONG devant le tribunal judiciaire de Paris pour manquement à son devoir de vigilance. Le règlement donne un rôle assumé aux associations et aux ONG qui pourront assurer un suivi approfondi de la diligence raisonnée et mettre en œuvre des actions pour prévenir d’éventuelles tentatives de greenwashing.
Le règlement sur la déforestation impose une obligation centrale de diligence raisonnée qui nécessite d’intégrer un process qui s’inscrit plus largement dans le cadre du reporting de durabilité ESG et requiert une approche globale et transversale tant sur le plan juridique qu’en termes de suivi et de reporting.
[1] Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l'Union et à l'exportation à partir de l'Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010.
[2] Cette obligation ne s’applique pas aux PME, aux micro-entreprises et aux personnes physiques.
[3] Règlement (UE) n° 995/2010 établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché. Ce règlement sera abrogé par le règlement sur la lutte contre la déforestation.
[4] Les commerçants PME auront des obligations de diligence raisonnée simplifiées : pour commercialiser les produits, ils devront uniquement recueillir les coordonnées des fournisseurs des produits et des personnes auxquelles ils ont vendu les produits. Ces informations devront être conservées pendant une durée d’au moins 5 ans.