En vertu de la théorie prétorienne des « erreurs comptables délibérées », de telles erreurs volontaires sont opposables au contribuable qui doit en supporter les conséquences fiscales, sans pouvoir les rectifier. En revanche, elles peuvent être remises en cause par l’administration (voir notamment CE, 12 mai 1997, n° 160777, SARL Intraco).
Le Conseil d’État a toutefois tempéré cette position en jugeant qu'une erreur comptable, qu’elle soit délibérée ou non, ne peut fonder un redressement fiscal lorsqu’elle n'entraîne pas de variation de l'actif net de la société (CE, 25 mars 2013, n° 355035, Sté Merlett France). Cette décision avait été rendue dans l’hypothèse d’une erreur qui avait seulement affecté par compensation deux comptes de passif enregistrant une même créance d’un même tiers et n’avait pas eu pour conséquence d’augmenter l’actif net de la société.
Dans l'affaire ici jugée, les faits étaient les suivants : au cours d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a constaté qu’une entreprise avait comptabilisé au passif de son bilan, une dette vis-à-vis d’un de ses associés correspondant à une avance consentie pour l’acquisition d’un ensemble immobilier, alors que cet associé ne lui avait pas avancé cette somme, et a réintégré dans son bénéfice imposable, sur le fondement de l’article 38, 2 du CGI, ce passif qu’elle a regardé comme injustifié.
Pour faire échec à ce redressement, la société se prévalait du fait que l’avance en cause lui avait bien été consentie, mais par un autre associé – qui souhaitait dissimuler l’origine des fonds, provenant d’un compte bancaire suisse non déclaré – et qu’elle correspondait ainsi à un passif justifié dont seule la désignation comptable du titulaire aurait été erronée.
La Cour administrative d’appel de Paris avait considéré dans son arrêt du 7 décembre 2022 qu’une telle hypothèse ne relevait en tout état de cause pas de l’erreur comptable involontaire, donc rectifiable, et que la société ne pouvait dès lors pas en demander la rectification.
Dans sa décision de plénière du 22 mars 2024, publiée au recueil Lebon, le Conseil d’État confirme la solution rendue par les juges du fond. D’une part, la réalité du prêt inscrit au bilan n’est pas établie et d’autre part la circonstance que le prêt en cause a en réalité été consenti par un autre associé, par virement d'un compte non déclaré dont celui-ci était titulaire à l'étranger, est sans incidence sur le bien-fondé des rehaussements en litige dans la mesure où, la société ayant délibérément omis de faire figurer la dette correspondante au passif de son bilan, elle ne pouvait solliciter la correction de cette omission (CE, 22 mars 2024, n° 471089, Sté Jet Foncière).
Il confirme par ailleurs l’application par l’administration de la pénalité pour manquement délibéré prévue par l’article 1729 du CGI, dès lors que :
le gérant de la société ne pouvait ignorer la provenance réelle de la somme comptabilisée au crédit du compte courant de l'autre associé (dès lors qu’il était titulaire du compte bancaire étranger), et
le maintien au passif du bilan pendant plusieurs exercices successifs d'une dette non justifiée d'un montant important ne pouvait être regardé comme une simple erreur commise de bonne foi.
Cette décision fera l’objet d’un commentaire plus approfondi dans un prochain eMag.