Acte anormal de gestion et management package

Le caractère normal d’une promesse de vente d’actions d’une filiale consentie au dirigeant ou salarié de cette filiale s’apprécie à la date de signature de cette promesse, en fonction de la valeur des titres à cette date et des contreparties attendues par la société signataire en termes d’accroissement de son chiffre d’affaires et de valorisation de sa participation.

CE 11 mars 2022 n° 453016, SARL Alone&Co

La SARL A, qui exerce une activité de gestion de titres et de prise de participations, consent le 14 mars 2009 à Monsieur B, directeur commercial d'une de ses filiales, la société C, une promesse de cession d’actions de cette dernière, valable pour 5 ans, au prix définitif de 1 euro par action. Monsieur B acquiert le 24 février 2011, en application de cette promesse et au prix ainsi fixé, 100 270 actions de la société C détenues par la SARL A et les revend le même jour à une autre filiale contrôlée majoritairement par la SARL A, au prix unitaire de 3,8 euros, résultant de l'évaluation par un commissaire aux apports de la valeur vénale des actions à cette date.

A l’occasion d’un contrôle fiscal, l'administration estime que la cession consentie par la SARL A à Monsieur B est constitutive d’une libéralité, en raison du prix anormalement bas fixé dans la promesse de vente.

La CAA donne raison à l’administration.

Le CE considère que la CAA a commis une erreur de droit :

  • En écartant l'argumentation de la société tirée ce qu'elle s'était trouvée contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d'un engagement de cession contracté à l'égard de Monsieur B, aux motifs que :

- Cette circonstance ne constituait pas une contrainte qui lui était extérieure, et 

- La promesse de vente ne mentionnait aucun engagement de Monsieur B en contrepartie du sien.

  • Sans rechercher si, en consentant le 14 mars 2009 à Monsieur B une promesse de vente des actions de la société C à un prix irrévocablement fixé et alors même que cette promesse n'était pas subordonnée au respect d'engagements pris par ce dernier, la SARL A avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l'implication complémentaire qu'elle pouvait attendre, du fait de l'option d'achat qu'elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres.

Réglant l’affaire au fond, le CE juge que :

  • La seule circonstance que Monsieur B ne fut pas salarié de la SARL A n'était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu'elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation dans la société C un intérêt propre à inciter l'intéressé au développement de cette société dont il était le directeur commercial ;

  • Les compétences de Monsieur B et son expérience commerciale dans le segment d'activité sur lequel la société C avait axé son développement étaient de nature à lui permettre, par son implication particulière, d'obtenir un accroissement important du chiffre d'affaires de cette société et, par suite, de la valeur de ses titres ;

  • Quand bien même la promesse de vente en litige ouvrait à Monsieur B la possibilité d'exercer son droit d'option à tout moment pendant une période de cinq ans et n'était pas subordonnée à des engagements de sa part, il résulte de l'instruction : 

- D'une part, que le prix de 1 euro qu'elle fixait pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et, 

- D'autre part, que les perspectives de croissance de l'activité de la société ne présentait aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l'égard de Monsieur B, un réel effet incitatif.

Le CE décharge en conséquence la SARL A des cotisations supplémentaires d’impôt qui avaient été mises à sa charge.

Découvrir l'arrêt

Le regard de nos experts  

Cette décision redessine les contours de l’application de la théorie de l’acte anormal de gestion, dans le cas spécifique de l’avantage consenti à un dirigeant ou salarié lors de la mise en place d’un « management package ».

On rappellera qu’à l’occasion de l’arrêt Croë Suisse (CE 21 décembre 2018 n° 402006), le Conseil d’Etat a jugé que « s’agissant de la cession d’un élément d’actif immobilisé, lorsque l’administration, qui n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu’elle a retenue et que le contribuable n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l’acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie »

Par ce considérant, le Conseil d’Etat a ajouté à la catégorie des actes anormaux par nature le cas de la cession d’un élément d’actif immobilisé pour un prix significativement inférieur à sa valeur vénale. Cette catégorie comprenait déjà deux autres hypothèses : celle des actes accomplis entre des parties en relation d’intérêts et celle des opérations à prix nul, telles qu’un prêt sans intérêt ou un abandon de créance. Dans ces situations, la Haute Assemblée a admis que la charge de la preuve de l’acte anormal soit facilitée pour l’administration, cette dernière restant tenue d’établir un appauvrissement de l’entreprise du fait de l’acte, mais déchargée de l’obligation d’établir l’élément intentionnel, c’est à dire le fait que l’entreprise avait conscience d’agir contre son intérêt. 

La présomption ainsi établie par la jurisprudence demeure pour autant réfragable. Le contribuable peut en effet apporter la preuve de la normalité de l’acte en démontrant l’existence d’une contrepartie à l’écart de prix consenti, ou encore la nécessité de réaliser l’opération à ce prix, par exemple en raison d’un rapport de force avec l’autre partie ou d’une situation financière obérée contraignant l’entreprise à consentir cet écart.

Dans la présente affaire, l’administration avait relevé un écart de prix qui, comme le relève Romain Victor dans ses conclusions, n’était pas discuté par les parties. Tirant les conséquences de la présomption issue de l’arrêt Croë Suisse précité, la cour administrative d’appel s’était alors penchée sur les justifications possibles d’un tel écart. Elle avait relevé que la SARL ne se prévalait d’aucune contrainte externe l’ayant conduite à conclure l’opération à ce prix, pas plus qu’elle ne démontrait en avoir tiré une contrepartie. La cour en avait déduit que faute d’éléments pertinents apportés par le contribuable pour combattre la présomption, l’administration avait à juste titre caractérisé un acte anormal de gestion.

Par une approche pragmatique, le Conseil d’Etat, aux conclusions de Romain Victor, prend le parti de renforcer les exigences probatoires pesant sur l’administration dans le cas particulier des « management packages » et de clarifier la date à laquelle il convient d’apprécier la normalité de l’acte, contraignant ainsi l’administration à se placer à la date à laquelle une option a été consentie pour apprécier le caractère normal ou anormal de cette dernière. A l’appui de cette solution, Romain Victor relève notamment qu’«il va de soi qu’eu égard à la finalité incitative de l’option consentie au dirigeant ou au salarié, un écart favorable à ce dernier et défavorable à l’entreprise ne saurait constituer automatiquement la signature de l’acte anormal de gestion». 

Suivant ces conclusions, le Conseil d’Etat considère au cas particulier que l’administration n’établissait pas que les contreparties retirées par la SARL de la promesse de vente consentie à son directeur commercial seraient inexistantes ou insuffisantes au regard de l'avantage consenti à ce dernier, après avoir relevé que la promesse de vente présentait nécessairement un caractère incitatif pour son bénéficiaire. Or, l’implication de ce dernier en tant que directeur commercial pouvait présenter un intérêt propre pour la SARL, laquelle pouvait en attendre un accroissement de son chiffre d’affaires et une valorisation de sa participation dans la filiale. Les praticiens salueront cette solution. 

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Philippe Durand

Philippe Durand

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Marie-Hélène Pinard-Fabro

Avocat, Directeur, PwC Société d'Avocats

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