Etablissement stable : le Conseil d’Etat modifie son interprétation des conventions fiscales

15/12/20

eAlerte Fiscale

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En bref

Dans un arrêt de plénière fiscale en date du 11 décembre 2020 (CE 11/12/2020 n° 420174, Conversant International Ltd) la Haute Cour modifie son interprétation des conventions fiscales quant à l’utilisation des commentaires OCDE pour élargir la notion d’établissement stable à nombre de situations qui visent l’économie numérique, avec des potentialités d'application plus large.

La situation en cause

Les faits et la situation soumis au Conseil d’Etat étaient les suivants :

Une société dénommée, pendant la période en litige, Valueclick International Ltd, dont le siège est situé en Irlande exerce une activité de marketing digital, en particulier en Europe, par l'intermédiaire de sociétés sœurs et notamment, en France, par l'intermédiaire d’une SARL alors dénommée Valueclick France. La société irlandaise propose à ses clients des services dénommés "Media ", "Marketing par affiliation" et "Technologies",

En exécution d'un contrat de prestation de services conclu entre les sociétés du groupe, la société française fournit à la société irlandaise les services d’assistance marketing consistant à agir comme le représentant marketing de Valueclick International, ce qui inclut, mais pas seulement, l'identification, la prospection et le signalement des clients potentiels en contrepartie d’une rémunération basée sur un cost plus 8%.

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la société Valueclick International Ltd exerçait en France une activité imposable, par l'intermédiaire d'un établissement stable constitué par la société ValueclickFrance. Elle arguait notamment que les salariés de la société française avaient en fait le pouvoir de conclure les contrats.

La société Valueclick International Ltd a en conséquence été assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des années 2009 à 2011 et un rappel de taxe sur la valeur ajoutée a été mis à sa charge. La cour administrative d'appel de Paris a prononcé la décharge demandée par la société irlandaise au motif principalement que même si la validation (par la société irlandaise) des commandes enregistrées par les salariés de la société française apparaissait comme purement formelle, elle conditionnait néanmoins en droit, l’entrée en vigueur des contrats.

La décision

  • En matière d’impôt sur les sociétés

Pour son analyse de la convention France-Irlande du 21 mars 1968 et notamment de l’article 2-9° c) relatif à la notion d’agent dépendant disposant des pouvoirs exercés habituellement permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise de l’autre Etat, le Conseil d’Etat, pour la première fois à notre connaissance, et contrairement à une jurisprudence bien établie qui n’autorisait que le recours aux commentaires existants à la date de la signature du traité interprété, s’est référé explicitement aux commentaires pertinents les plus récents et postérieurs au traité de la clause du modèle OCDE à interpréter.

Le Conseil d’Etat précise ainsi que « Pour avoir un établissement stable en France (au sens des stipulations citées ci-dessus) une société résidente d'Irlande doit soit disposer d'une installation fixe d'affaires […],  soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres. Doit être regardée comme exerçant de tels pouvoirs, ainsi d'ailleurs qu'il résulte des paragraphes 32.1 et 33 (relatifs à l’article 5, 5°) des commentaires au modèle de convention établi par l’OCDE publiés respectivement le 28 janvier 2003 et le 15 juillet 2005, une société française qui, de manière habituelle, même si elle ne conclut pas formellement de contrats au nom de la société irlandaise, décide de transactions que la société irlandaise se borne à entériner et qui, ainsi entérinées, l'engagent ».

La Haute Cour en déduit que si la société irlandaise fixe bien le modèle des contrats conclus avec les annonceurs ainsi que les conditions tarifaires générales, le choix de conclure un contrat avec un annonceur et l'ensemble des tâches nécessaires à sa conclusion relèvent des salariés de la société française, la société irlandaise se bornant à valider le contrat par une signature qui présente un caractère automatique. Elle conclut donc à l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d'appel de Paris.

  • En matière de TVA

De même, en matière de TVA, alors que la cour administrative d’appel avait jugé que la société irlandaise ne disposait pas en France, par l’intermédiaire de la société française, de l’équipement humain et technique apte à rendre possible, de manière autonome les prestations de service litigieuses, le Conseil d’Etat considère quant à lui, que les moyens humains « qui permettent de prendre la décision de conclure », avec un annonceur, les contrats, sont bien en France. Par ailleurs, quand bien même aucun centre de données utilisé pour l’exécution des fonctionnalités de mise en relation n’est localisé en France (pas davantage d’ailleurs qu’en Irlande), l’accès à ces fonctionnalités est rendu possible par les moyens dont disposent les salariés de la société française.

La société irlandaise devait donc être considérée comme disposant en France d’un établissement stable pour les besoins de la TVA, présentant un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de service considérées.

Les enjeux

Cette décision ouvre la voie à la reconnaissance d’établissements stables en France de manière plus large que par le passé.

Elle pourrait constituer une première étape dans une démarche d’application unilatérale par la France de la définition extensive de l’établissement stable proposée par l’article 12 de l’Instrument Multilatéral de l’OCDE, disposition adoptée sans réserve par la France, mais parfois sans réciprocité, de nombreux autres Etats (tels que l’Irlande) ayant quant à eux notifié des réserves. Cet article reconnait en effet la qualité d’établissement stable d’une entreprise à toute personne qui, agissant en qualité d’agent dépendant de ladite entreprise, conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise. 

Pour en savoir plus, retrouvez notre article publié sur le sujet :

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Guillaume Glon

Guillaume Glon

Avocat, Associé, Managing Partner, PwC Société d'Avocats

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