La prime acquittée pour l'acquisition d'un contrat d'option a la nature d'un actif financier, et ne saurait constituer une charge déductible de l'exercice au cours duquel elle est acquittée (décision rendue dans le cadre des règles comptables applicables avant le 1er janvier 2017).
Le CE casse l’arrêt CAA Versailles, 26 janvier 2021 n° 19VE04194 (voir eMag n° 1) dans sa décision du 29 novembre 2021 n° 450732, Sté Deutsche Bank AG, mentionnée aux tables du recueil Lebon.
Dans le cadre de ses activités, un établissement a souscrit des contrats d'option afin de couvrir des positions prises sur des actions. Ces opérations étaient soumises aux dispositions de l’article 38, 6-3° du CGI.
Pour l’application de ces dispositions, l’établissement avait calculé les gains non encore imposés en déduisant le montant des primes payées en contrepartie de la conclusion des contrats d'option, majorant ainsi la partie fiscalement déductible. (ndlr : en cas de positions symétriques, l’article 38,6-3° du CGI limite la déduction des pertes sur une position à la fraction qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse).
Saisi une première fois, le CE juge que le montant des gains non encore imposés sur le contrat d’option ne s'établit pas sous déduction de la prime versée par l’acheteur en contrepartie de l'acquisition de l'option (ndlr : voir TA Montreuil 15 décembre 2016 n° 1506591 et CE 19 décembre 2019 n° 431066) en considérant au regard des dispositions dérogatoires de l’article 38, 6-1° du CGI que cette notion de gains non encore imposés doit s'entendre comme « la marge bénéficiaire qui résulterait de l'exécution du contrat d'option » à l'exclusion de la prime versée.
Sur renvoi et faisant droit à une demande de compensation de la société, la CAA juge que cette prime est certaine dans son principe et son montant dès l'exercice de conclusion du contrat et doit en conséquence être rattachée à cet exercice (ndlr : cette déduction vient ainsi compenser le redressement subi par la société au titre de la provision pour pertes latentes considérée comme non déductible: voir CAA Versailles 26 janvier 2021 précité, commenté dans notre eMag n° 1).
Saisi une seconde fois, le CE juge que :
Le CE juge en conséquence que le ministre est fondé à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les primes d'option en litige avaient la nature de charges déductibles de l'exercice au cours duquel elles étaient exposées.
La saga Deutsche Bank AG ne pouvait trouver son épilogue sans que le juge ne statue sur le véritable nœud du litige résidant dans la nature du contrat d’option, autrement dit, la recherche des obligations que le contrat met respectivement à la charge du vendeur et de l’acheteur. Ce n’est toutefois qu’à la faveur d’une demande subsidiaire que l’enjeu tenant à l’exercice de rattachement de la prime d’option a ouvert le champ des interrogations sur la qualification du contrat d'option par-delà le sujet de l’interprétation de la règle de limitation de déductibilité des pertes afférentes à des positions symétriques.
Notons que si l'idée qui consiste à envisager la prime comme le prix d'un actif financier n'est pas nouvelle et a déjà été défendue en doctrine[1], la requérante a offert au juge fiscal, par la voie d’une demande de compensation sur le fondement de l’article L. 205 du LPF, l’occasion de se saisir du dialogue juridique consistant à déterminer si la prime d’option rémunère une prestation de service représentée par un engagement pris par le vendeur à l’égard de l’acheteur ou si celle-ci est représentative d’un actif acquis auprès de celui-ci. Rappelons à toutes fins utiles que, contrairement à la situation actuelle, depuis l’adoption du règlement de l’ANC du 2 juillet 2015 relatif aux instruments financiers à terme et aux opérations de couverture (n° 2015-05), aucune règle spécifique du PCG ne régissait la comptabilisation des primes d’options au titre des exercices afférents à l’imposition en litige. En dépit du fait que la doctrine de l’administration fiscale relevait que « la prime versée par l'acheteur au vendeur de l'option demeure sans incidence sur les résultats imposables des opérateurs au moment de la conclusion du contrat » (BOI-BIC-PDSTK-10-20-70-50), la seconde opinion a trouvé les faveurs du rapporteur public Romain Victor suivi sans ambages par le Conseil d’Etat. Si nous ne saurions douter du souci commun qu’ont eu le rapporteur public et le Conseil d’Etat quant à l’identification de l’objet et des effets du contrat d’option, la question consistant à se demander si la solution du litige visant à voir la prime d’option comme la contrepartie de l’acquisition d’un élément d’actif, n’a pas été déterminée par le soin d’une liaison entre le traitement fiscal applicable aux primes d’option au titre des exercices en litige et le traitement comptable applicable depuis la réforme comptable précitée peut se poser. Aussi, cette logique nous semblerait surprenante dans la mesure où elle introduirait en creux une forme de principe d’interprétation du droit fondé sur une convergence fiscalo-comptable prospective. Autrement dit, il s’agirait d’une interprétation du droit fondée sur un principe de convergence subordonnée à l’adoption ultérieure de règles comptables spécifiques. L’incise du Conseil d’Etat au point 6 de la décision précisant expressément que la solution de la Cour s’applique « en l’absence de règles comptables en disposant autrement » est illustrative à cet effet. La question consiste à se demander quelle portée il convient d’accorder à l’analyse juridique qui a été menée par le Conseil d’Etat afin d’identifier dans quelle mesure cette logique pourrait être déclinée à d’autres types de sommes versées au titre de contrats financiers que ce soit à la conclusion, pendant l’exécution ou à l’extinction desdits contrats. Elle interroge en outre sur le sort des contribuables qui ont opté pour une constatation différée de la prime symétriquement au résultat de l'élément couvert conformément à l’article 628-12 du PCG (désormais en vigueur). Il nous semble, en tout état de cause, que tant sur le terrain de la pensée juridique qu’économique, l’approche retenue par le Conseil d’Etat n’épuise pas toutes les configurations du contrat d’option et encore moins des instruments financiers à terme en général. Nous en voulons pour preuve le fait que dans une affaire récente (CE 10 mars 2021 n° 423983, SAS Airbus, SAS Airbus Opérations et SEP Airbus), mettant en cause similairement des contrats de put option agreements, une autre analyse des effets du contrat a conduit le Conseil d’Etat à voir dans l’exécution de ces contrats une prestation à exécution discontinue à échéances successives afin de lui appliquer l’article 38 2 bis du CGI. Ces dernières décisions invitent les contribuables à procéder à une revue détaillée de leurs pratiques fiscales en la matière afin de revisiter, à la lumière des caractéristiques propres à ces contrats, le traitement fiscal qu’il convient d’appliquer à l’ensemble des sommes versées ou reçues, quelle que soit leur dénomination, au titre des instruments financiers souscrits.
[1] P. Pouliguen, « France », dans Tax aspects of derivative financial instruments : Cahier de droit fiscal international de l'IFA, 49e congrès de l'IFA : Wolters Kluwer, 1995, vol. LXXXb, p. 217 ; C. David et P. Rivière, Fiscalité des instruments financiers des entreprises dans la Communauté européenne, Nouvelles éditions fiduciaires 1991, n° 138, p. 212 ; P. Pouliguen et L. de Maintenant, Les instruments dérivés de crédit à l'épreuve de la fiscalité : Dr. fisc. 1999, n° 38, act. 100272, spéc. n° 26 ; E. Dussau, L'article 38 du CGI à l'épreuve des contrats financiers optionnels, À propos de CE, 8e et 3e ch., 19 déc. 2019, n° 431066, Sté Deutsche Bank AG.