La loi de finances prévoit diverses mesures concernant les retenues à la source prélevées en France sur des revenus perçus par des bénéficiaires non établis en France. La principale mesure a pour objectif d'assurer la mise en conformité avec le droit de l’UE de différents dispositifs internes de retenues à la source appliqués aux revenus perçus par des entreprises non-résidentes, récemment jugés contraires aux libertés garanties par le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) par le Conseil d’Etat. Par ailleurs, ce même article aménage le dispositif de restitution et de report d’imposition temporaire de la retenue à la source mis en place par la loi de finances pour 2020.
Dans une décision du 22 novembre 2019 (n° 423698, SAEM de gestion du Port-Vauban) le Conseil d’Etat a jugé contraire au principe de libre prestation de services, garanti par l’article 56 du TFUE, la retenue à la source de l’article 182 B du CGI (applicable aux revenus non salariaux), en ce qu’elle n’autorise pas la prise en compte des frais professionnels supportés par un prestataire non-résident dans l’assiette de la retenue à la source, alors qu’un prestataire établi en France est soumis à l’impôt sur une base nette.
Dans une autre décision du 11 mai 2021 (n° 438135, UBS Asset Management Life Ltd) le Conseil d’Etat a également jugé que l’impossibilité pour une société d’assurance-vie britannique percevant des dividendes de source française de déduire certaines charges (en l’occurrence des provisions techniques) de l’assiette de la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI, était contraire au principe de libre circulation des capitaux.
Tirant les conséquences de ces décisions, la loi de finances pour 2022 aménage les dispositifs de retenue à la source existants en permettant désormais un calcul de l’assiette des retenues à la source sur une base nette et non plus sur une base brute. Cette prise en compte des charges s’opérera via deux mécanismes :
❖ Une prise en compte des frais par le biais d’un abattement forfaitaire pour les revenus soumis à la retenue à la source de l’article 182 B du CGI
Pour les personnes morales et organismes non-résidents établis dans l’UE ou dans un Etat partie à l’accord sur l’EEE et ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale percevant des revenus de source française entrant dans le champ d'application de l’article 182 B du CGI, il est désormais prévu, lors du prélèvement de la retenue à la source, un abattement forfaitaire représentatif de charges égal à 10 % des sommes ou produits. On notera qu’un tel abattement forfaitaire au taux de 10 % s’applique d’ores et déjà à la retenue à la source prévue à l’article 182 A bis du CGI s’agissant des sommes versées au titre de prestations artistiques fournies ou utilisées en France par un prestataire non-résident.
❖ Une prise en compte des frais réels pour les revenus soumis aux retenues à la source des articles 119 bis, 2, 182 A bis, et 182 B du CGI
La loi de finances prévoit également la possibilité (qui sera codifiée à l’article 235 quinquies, I du CGI), pour les bénéficiaires des sommes ou produits soumis aux retenues à la source des articles 119 bis, 2, 182 A bis et 182 B du CGI d'obtenir la restitution, a posteriori, des impositions prélevées, à hauteur de la différence entre l’imposition prélevée (calculée sur une assiette brute) et l’imposition calculée sur une base nette des charges d’acquisition et de conservation directement rattachées aux revenus. Cette possibilité de restitution sera toutefois soumise à la double condition que :
S’agissant de la retenue à la source des articles 182 A bis et 182 B du CGI, la restitution concernera exclusivement les personnes morales et organismes non-résidents établis dans l’UE ou dans l’EEE. En revanche pour la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI la restitution concernera, non seulement les personnes morales et organismes non-résidents établis dans l’UE ou dans l’EEE, mais également ceux établis dans des Etats situés en dehors de l’UE ou de l’EEE sous réserve que l’Etat ne soit pas non coopératif et que la participation détenue dans la société ou l’organisme distributeur ne permette pas au bénéficiaire de participer de manière effective à la gestion ou au contrôle de cette société ou de cet organisme.
Remarque : cette différence dans le champ d’application des nouvelles mesures s’explique par la nature des libertés fondamentales en jeu. Dans le cadre des retenues à la source des articles 182 A bis, et 182 B du CGI c’est le principe de libre prestation de services qui s’oppose au calcul de la retenue à la source sur une base brute. Or, cette liberté fondamentale, garantie par le TFUE ne peut pas être invoquée par un contribuable établi en dehors de l’UE. En revanche, s’agissant de la retenue à la source de l’article 119 bis 2, la liberté fondamentale en jeu est la libre circulation des capitaux qui est opposable par tous les contribuables qu’ils soient ou non établies dans l’UE, à condition toutefois, pour ceux établies en dehors de l’UE, que leur participation dans la société ou l’organisme distributeur ne leur permette pas de participer de manière effective à sa gestion ou à son contrôle (ce qui correspond au périmètre d’application de la liberté de circulation des capitaux).
La demande de restitution devra être déposée au service des impôts des non-résidents dans les conditions prévues pour les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts locaux c’est à dire au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle du versement de la RAS. La demande de restitution devra être accompagnée de l’ensemble des pièces justificatives nécessaires au calcul du montant de la restitution.
La loi de finances pour 2020 a instauré un mécanisme de restitution et de report d’imposition temporaire des retenues à la source pour les sociétés étrangères déficitaires, codifié à l’article 235 quater du CGI. Ce mécanisme concerne l’ensemble des dispositifs de retenue à la source ou prélèvements à la source prévus aux articles 119 bis, 182 A bis, 182 B, 244 bis, 244 bis A et 244 bis B du CGI. Une société étrangère déficitaire peut désormais solliciter la restitution des sommes versées au titre d’une retenue ou d’un prélèvement à la source. Ces sommes font alors l’objet d’une imposition mise en report, égale au montant des retenues et prélèvements restitués, le report prenant fin lorsque la société redevient bénéficiaire. Pour que le report d’imposition soit maintenu la société doit en outre, fournir annuellement aux autorités fiscales françaises une déclaration mentionnant son résultat fiscal ainsi qu’un état de suivi des revenus et profits dont l’imposition est reportée.
La mise en œuvre de ce nouveau dispositif a toutefois mis en lumière des difficultés liées, d’une part, aux incertitudes sur l’ordre dans lequel les impositions en report portant sur plusieurs exercices deviennent exigibles, dans l’hypothèse où la société redevient bénéficiaire et, d’autre part, aux délais de dépôt des demandes de restitution jugés trop courts par les contribuables (ce délai étant actuellement de trois mois suivant la clôture de l’exercice au cours duquel est intervenu le fait générateur de la retenue à la source ou du prélèvement dont la restitution est sollicitée).
La loi de finances pour 2022 aménage donc le dispositif en précisant que lorsque les impositions mises en report portent sur des exercices distincts, la déchéance de ce report s’applique en priorité aux impositions les plus anciennes.
Par ailleurs, le délai dans lequel le bénéficiaire des revenus pourra demander la restitution de la retenue à la source sera désormais celui prévu pour les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts locaux et les taxes annexes à ces impôts, c'est-à-dire au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant la mise en recouvrement du rôle.
En outre, les personnes morales ou organismes non-résidents bénéficieront d’un délai porté à six mois (contre trois mois auparavant) pour déposer la déclaration annuelle faisant apparaître un résultat déficitaire permettant le maintien du report d’imposition.
L’ensemble des dispositions de l’article 24 est applicable aux retenues à la source dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2022.
On notera enfin que ce même article 24 apporte une précision rédactionnelle aux dispositions de l’article 187 du CGI afin de préciser que le taux des retenues à la source applicable à compter du 1er janvier 2022 sera aligné sur le taux normal de l’IS soit 25 %.
Pour mémoire, la directive ATAD 2 (directive 2017/952 du 29 mai 2017) a été adoptée en vue d’étendre le champ d’application des mesures de lutte contre les dispositifs hybrides, initiées par la directive ATAD 1 (directive 2016/1164 du 12 juillet 2016). Ces deux directives s’inspirent directement des préconisations du rapport final relatif à l’action 2 du projet BEPS de l’OCDE.
L’article 45 de la loi n° 2019‑1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a procédé à la transposition des mesures de lutte contre les dispositifs hybrides, aux articles 205 B, 205 C et 205 D du CGI.
Complexe, ce texte n’avait été que peu discuté par le Parlement lors de la transposition en droit français. Les commentaires de l’administration sur le dispositif, qui ont été publiés le 15 décembre dernier, apportent certains éclairages, sans pour autant répondre à toutes les questions encore en suspens.
Pour rappel, les « dispositifs hybrides » se définissent comme ceux qui créent un effet d’asymétrie fiscale, qui peut être soit une “déduction sans inclusion”, soit une “double déduction”
Six des dispositifs hybrides visés à l’article 205 B du CGI sont des cas de “déduction sans inclusion”, entendus comme des cas dans lesquels un paiement est déduit dans l’Etat de la source sans être “inclus” (pris en compte) dans le revenu du bénéficiaire en vertu des règles de son Etat de résidence. L’asymétrie fiscale peut notamment résulter de différences d'appréciation entre juridictions :
En cas de déduction sans inclusion, la règle principale destinée à éliminer l’effet hybride (CGI art. 205 B, III-1, a) prévoit que la charge, constatée dans l’Etat de la source, n'est pas admise en déduction. Sauf en ce qui concerne les instruments financiers hybrides, aucune précision n’est fournie par le texte quant au délai dans lequel l’inclusion doit intervenir, l’administration considérant à cet égard que l’inclusion doit avoir lieu au titre de l’exercice au cours duquel intervient le paiement, sous réserve de quelques tempéraments (BOI-BIC-BASE-80-20 n° 30). Pour les instruments financiers hybrides, l’inclusion doit avoir lieu au titre d’un exercice commençant dans les 24 mois suivant la fin de l’exercice au titre duquel la charge correspondante a été déduite (CGI art. 205 B, I- 8°,b). Alors que la directive, suivant les recommandations du rapport BEPS, mentionne que l’inclusion peut avoir lieu dans un délai de 12 mois ou dans un « délai raisonnable », la transposition française s’avère moins souple, en ce qu’elle impose un délai maximum pour l'appréciation de l’inclusion.
Les situations de “double déduction” sont entendues comme celles dans lesquelles un même paiement, une même charge ou une même perte donne lieu à une déduction dans l’Etat de résidence du débiteur et dans un autre Etat. En cas de double déduction, la règle principale d’élimination de cette double déduction prévoit que la charge n’est pas admise en déduction des revenus de “l’investisseur” établi en France, l’investisseur étant défini comme toute personne autre que le débiteur qui bénéficie d’une déduction dans le cadre du dispositif hybride concerné.
Le dispositif français prévoit par ailleurs que la règle d’élimination ne s’applique pas lorsque la double déduction concerne un revenu soumis à double inclusion au titre du même exercice ou au titre d’un exercice qui commence dans les 24 mois suivant la fin de l’exercice au titre duquel la charge a été initialement déduite. La directive, quant à elle, ne prévoit aucun délai.
Le texte initial issu de la loi de finances pour 2020 soulevait certaines questions autour de l’application de ce délai de 24 mois, notamment sur le moment auquel la neutralisation du dispositif hybride (c'est-à-dire la réintégration de la charge) doit être effectuée par le contribuable.
La loi de finances pour 2022 vient lever certaines de ces ambiguïtés, en précisant à quel moment une charge n’ayant pas donné lieu à inclusion dans le délai de 24 mois doit être réintégrée.
Ainsi, lorsqu'un paiement effectué au titre d'un instrument financier n'a pas été inclus dans les revenus imposables du bénéficiaire établi hors de France à l'issue du délai prévu à l’article 205 B, I-8°, b) la réintégration dans le résultat soumis à l'IS en France de la société qui a effectué le paiement devra être effectuée par cette dernière à la clôture du dernier exercice ayant commencé dans les 24 mois suivant la fin de l'exercice au titre duquel la charge a été initialement déduite. Les mêmes dispositions s’appliquent en cas de double déduction non suivie d’une double inclusion dans ce même délai de 24 mois.
Cet aménagement de l’article 205 B du CGI précise donc que la déduction initiale de la charge peut avoir lieu dans les deux cas envisagés de paiement effectué au titre d’un instrument financier hybride ou de double déduction, la neutralisation prévue par le dispositif ATAD 2 n’intervenant quant à elle que postérieurement au constat de l’absence d'inclusion (ou de double inclusion) à l’issue du délai de 24 mois.
Exemple : une société française et une société américaine (liées) clôturent leur exercice au 31 décembre. La société française effectue un paiement potentiellement hybride à raison d’un instrument financier, au profit de la société américaine, au titre de l’exercice clos le 31 décembre N. Elle pourra déduire la charge au titre de ce même exercice. Elle devra la réintégrer au titre de l'exercice clos le 31 décembre N+2 si le revenu correspondant n’a toujours pas été imposé à cette date.