Imposition minimum mondiale : transposition de la Directive Pilier 2 (PLF art. 4)

Les « Règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition » (communément désignées sous l’appellation « Règles GloBE » ou « Pilier 2 »), entendent assurer une imposition effective, par juridiction, d’au moins 15 % des groupes d’entreprises multinationales ayant un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros. Issues d’un accord international, chaque juridiction est libre d’adopter ces règles. L’Union européenne en a toutefois imposé la transposition à l’ensemble de ses 27 Etats membres d’ici le 31 décembre 2023 à travers une directive. L’article 4 du projet de loi de finances est le véhicule choisi par le Gouvernement pour procéder à cette transposition.

Nos observations : Ce projet de loi reprend, pour l’essentiel, fidèlement les dispositions de la directive, avec néanmoins quelques ajustements destinés à intégrer des fragments du Commentaire du Modèle de règles  ou des instructions administratives adoptées par le Cadre inclusif OCDE/G20 le 1er février et le 13 juillet 2023.

Certains concepts empruntent une terminologie différente de celle retenue par le Modèle de règles ou la directive (par exemple, l’« entité transparente localement » ou « flow-through entity » de l’OCDE, transformée en « entité transparente intermédiaire » par l’Union européenne se mue en « Entité interposée » sous la plume de Bercy).

D’un point de vue légistique, un nouveau chapitre est inséré au Code général des impôts, après ceux consacré à l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Il porte création d’une nouvelle imposition : l’« imposition minimale mondiale des groupes d’entreprises multinationales et des groupes nationaux ». La première section de ce nouveau chapitre remplit une fonction quasi-exclusivement définitionnelle comprenant 48 entrées (lesquelles fournissent un aperçu de la densité et complexité de ce nouvel impôt).

Champ d’application et territorialité (section II)

Seraient assujettis à l’imposition minimum annuelle (i) les groupes d’entreprises multinationales ainsi que (ii) les groupes nationaux (ces derniers bénéficient d’une exemption quinquennale de RDIR) dont le chiffre d’affaires reflété dans les états financiers consolidés de leur entité mère ultime a atteint 750 millions au cours de deux des quatre derniers exercices

Ce groupe comprend toutes les entités intégrées dans les états financiers consolidés de l’entité mère ultime sous la méthode de l’intégration globale, y compris celles qui en sont exclues en raison de leur caractère non significatif ou car elles sont destinées à être vendues, et leurs établissements stables respectifs. Tous répondent à la qualité d’« entité constitutive ».

Conformément à la directive et au Modèle de règles, certaines entités sont exclues de l’imposition minimum annuelle en raison de leur statut ou de leur activité dont elles tirent généralement une exonération d’impôt sur les bénéfices localement (e.g. fonds d’investissement ou véhicule d’investissement immobilier sous réserve qu’il soit l’entité mère ultime, entité publique, organisation à but lucratif, fonds de pension, certaines de leurs filiales).

A noter que les coentreprises (à savoir les entités mises en équivalence dans ces mêmes états financiers et détenues à au moins 50 %, directement ou indirectement, par l’entité mère ultime) sont susceptibles de donner lieu à un impôt complémentaire déterminé selon des modalités particulières (définies en section VI).

Cette section II reprend également les dispositions de la directive et du Modèle de règles relatives à la nationalité (ou l’apatridie) des entités pour les besoins des règles GloBE.

Détermination du taux effectif d’imposition et régimes de protection temporaires (section III)

En ligne avec la directive et le Modèle de règles, le taux effectif d’imposition d’un groupe d'entreprise multinationale ou d’un groupe national devrait être déterminé, sauf situations spécifiques, pour chaque Etat ou territoire et au titre de chaque exercice selon la formule suivante : somme des montants corrigés des impôts couverts des entités constitutives situées dans l’Etat ou territoire / Somme des résultats qualifiés de celles-ci.

S’agissant du dénominateur : le résultat qualifié de chacune des entités correspondrait en principe à leur résultat net comptable tel que déterminé en application des normes comptables utilisées pour l’établissement des états financiers consolidés de l’entité mère ultime (e.g. lorsque l’entité mère ultime est en France les IFRS ou les French GAAP). En d’autres termes, celui qui ressortirait de leur liasse de consolidation, avant toutefois tout retraitement des opérations intragroupe. Ce résultat ferait ensuite l’objet d’ajustements extra-comptables (e.g. neutralisation de certains dividendes, plus-values de cessions de titres de participations etc.) et, le cas échéant, de réallocation entre entités du groupe.

S’agissant du numérateur : le montant corrigé des impôts couverts correspondrait aux montants des impôts sur les bénéfices (et assimilés), courants et différés, comptabilisés par chacune des entités constitutives. Ces montants feraient, conformément à la directive et au modèle de règles, de nombreuses corrections et, le cas échéant, de réallocations entre entités.

Nos observations : le projet de loi transpose une part significative des nouvelles règles (obligatoires ou électives) prévues par les instructions administratives publiées en février et juillet 2023 alors même qu’elles ne figurent pas dans la directive Pilier 2 (puisqu’elle leur est antérieure). Il s’agit par exemple des options pour l’exclusion du résultat net comptable du débiteur en difficulté de certains abandons de créance, de l’option pour la déduction de certains gains ou pertes sur instrument de couverture sur titres de participation ou encore de l’option pour le report en avant de l’excédent de produit d’impôt GloBE.

D’autres règles pourtant fondamentales issues de ces mêmes instructions ne sont pas reprises dans le projet de loi, telles que les dispositions relatives aux crédits d’impôt négociables et cessibles, l’option pour l’inclusion des investissements en actions et les bénéfices fiscaux par transparence ou encore les règles d’allocation de l’impôt GILTI. L’exposé des motifs indique seulement  que l’article 4 de ce projet transpose la directive Pilier 2 « telle qu’éclairées, le cas échéant, par les commentaires et les orientations administratives adoptés par le Cadre inclusif de l’OCDE/G20, y compris postérieurement à l’adoption de la directive » et qu’il « intègre plusieurs dispositions issues des instructions administratives […] et qui relèvent du domaine de la loi »).

Ce calcul détaillé du taux effectif d’imposition par juridiction ne devrait pas être requis dans les situations où un régime de protection trouverait à s’appliquer ; dans ce cas, l’impôt complémentaire au titre de ce territoire serait en effet réputé nul. Si la directive Pilier 2 intégrait le principe de ces régimes de protection, leurs modalités d’application devaient faire l’objet d’un accord  entre tous les Etats membres de l’Union. En l’état, le projet de loi intégrerait en tant que régimes de protection temporaires, celui assis sur la déclaration pays par pays (ou « CbCR ») et celui d’exemption d’impôt complémentaire au titre de la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés (« RBII ») dans la juridiction de l’entité mère ultime munie d’un impôt sur les sociétés d’au moins 20 %.

Nos observations : s’agissant du régime de protection permanent relatif à l’impôt national complémentaire qualifié et standardisé  issu des instructions administratives de juillet 2023, sa réception en droit français paraît limitée à la transposition de la directive sans prendre en compte, semble-t-il, ces instructions. Le projet de loi pourrait donc être amendé, et ce, d’autant plus que le régime de protection temporaire assis sur le CbCR est imparfaitement transposé (e.g. il n’intègre pas la neutralisation des moins-values latentes nettes sur titres de participation d’au moins 50 M€ du résultat comptable avant impôts).

Calcul de l’impôt complémentaire (section IV)

Le projet de loi de finances reprend, dans les grandes lignes, la mécanique de calcul de l’impôt complémentaire par juridiction (sauf exceptions) et son allocation subséquente entre les entités constitutives qui y sont localisées, telle que prévue par la directive Pilier 2. Pour rappel, un impôt complémentaire serait dû lorsqu’au cours d’un exercice fiscal le taux effectif d’imposition d’un groupe d’entreprises multinational ou d’un groupe national est inférieur, dans un Etat ou territoire, au taux minimum d’imposition de 15 %.

Par principe, l’impôt complémentaire au titre d’un exercice serait calculé, par juridiction, conformément à la formule suivante : (15 % - taux effectif d’imposition) x (somme des résultats qualifiés des entités constitutives – déduction fondée sur leur substance) + impôt complémentaire additionnel - impôt national complémentaire.

Il serait réparti proportionnellement entre les entités ayant réalisé un bénéfice qualifié (sauf lorsqu’un impôt complémentaire est constaté à raison d’un impôt complémentaire additionnel et qu’aucun bénéfice qualifié net n’est constaté dans la juridiction).

Nos observations : les règles de simplification d’allocation des frais de personnel et des actifs corporels aux fins de calcul de la déduction fondée sur la substance, développées par les instructions administratives de juillet 2023, ne sont pas ici reprises.

Prélèvement de l’impôt complémentaire : RPII, RDIR et INC (section V)

La collecte de la part d’impôt complémentaire revenant à la France serait assurée à travers trois mécanismes : la règle d’inclusion du revenu (RDIR), la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés (RBII) ou l’impôt national complémentaire (INC). Pour rappel, la mise en œuvre des deux premières règles est obligatoire en application de la directive Pilier 2 alors que celle de l’INC est à la discrétion des Etat membres.

La RBII prendrait la forme d’un prélèvement complémentaire, et non, comme l’y autorise la directive, un refus de déduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu de charges.

A noter que l’INC pourrait être calculé à partir du résultat net comptable déterminé selon les principes comptables français ou les normes IFRS en lieu et place de la norme utilisée pour l’établissement des états financiers consolidés de l’entité mère ultime. Chaque entité serait redevable de la part d’INC qui lui est affectée.

Règles dérogatoires (sections VI et VII)

Ces deux sections regrouperaient les multiples règles spécifiques régissant, parfois sur option, les entrées et sorties du groupe, les restructurations, les coentreprises ainsi celles destinées à calquer les régimes et systèmes d’imposition locaux atypiques.

Obligations déclaratives (section VIII), paiement, pénalités et délai de reprise

Chaque entité constitutive localisée en France appartenant à un groupe assujetti aux règles GloBE aurait l’obligation primaire d’indiquer, dans sa déclaration de résultat à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, qu’il appartient à un tel groupe (en renseignant par ailleurs l’identité de l’entité mère ultime, de l’entité déclarante le cas échéant, et leur juridiction respective).

Sauf à ce qu’elle y soit dispensée (au motif qu’une autre entité la transmet – directement ou indirectement – à la France), il lui appartiendrait également de déposer, dans les 15 mois (18 mois la première fois) qui suit la clôture de l’exercice, la déclaration d’informations au titre de l’impôt complémentaire (« GIR » en anglais).

Dans les mêmes délais, chaque entité constitutive devrait déposer un relevé de liquidation au titre de l’impôt complémentaire qu’elle doit. Le paiement s’opèrerait par télérèglement concomitamment à ce dépôt. A noter qu’il serait possible, sur option, de désigner une entité parmi elles pour s’acquitter de la totalité de l’impôt complémentaire dû en application de l’INC ou de la RBII, auquel cas le relevé de liquidation serait produit par celle-ci pour leur compte.

Nos observations : le projet de loi précise que l’impôt complémentaire (prélevé via la RDIR, la RBII ou l’INC) n’est pas déductible de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu. Il demeure muet sur la possibilité ou l’obligation de refacturer l’impôt complémentaire ainsi qu’à la fiscalité applicable le cas échéant à ce flux (contrairement, par exemple, au projet de loi de transposition allemand).

Tout défaut ou retard dans le dépôt de la GIR ou le relevé de liquidation serait sanctionné par une amende de 100 000 euros (les autres manquements déclaratifs feraient l’objet d’une amende maximale de 50 000 euros par déclaration) avec un plafond 1 million d’euros au titre d’un même exercice aux bornes du groupe.

Le droit de reprise de l’administration s’éteindrait le 31 décembre de la cinquième année qui suivrait celle au titre de laquelle l’impôt complémentaire serait dû.

Règles transitoires (section IX)

Cette section regrouperait toute une série d’ajustements à opérer au niveau des impôts différés au titre de l’exercice de transition (i.e. le premier exercice d’assujettissement du groupe aux règles GloBE) et des exercices ultérieurs. Elle inclurait également une règle anti-abus applicable aux transferts d’actifs entre entités constitutives survenus entre le 30 novembre 2021 et le début de l’exercice de transition.

Pendant 5 ans, sous conditions et dans certaines limites, les groupes d’entreprises multinationales en phase de démarrage dès leurs activités internationales ainsi que les groupes nationaux seraient exemptés d’impôt complémentaire.

Entrée en vigueur

L’imposition minimum annuelle s’appliquerait aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023 (à l’exception de sa composante RBII qui entrerait en vigueur un an plus tard, sauf à ce que l’entité mère ultime d’un groupe soit localisée dans un Etat membre de l’Union européenne ayant reporté de six ans la mise en œuvre, dans sa juridiction, de Pilier 2 tel que la Lituanie).

Ce projet de loi sera complété d’un décret et d’une ordonnance. En effet, selon l’exposé des motifs, des groupes de travail portant sur les modalités pratiques de mise en œuvre de ces règles par les États, notamment les obligations déclaratives, étant toujours en cours à l’OCDE, le gouvernement serait habilité à prendre par voie d’ordonnance toute mesure ultérieure du niveau de la loi relative à la déclaration, au recouvrement, au contrôle et aux sanctions des impôts complémentaires dus en vertu de ces nouvelles règles.

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Emmanuel Raingeard de la Blétière

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Valentin Leroy

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