Imposition minimum mondiale : transposition de la Directive Pilier 2 (LF art. 33)

Les règles GloBE, définies au niveau international par le Cadre Inclusif OCDE/G20 et dont la mise en œuvre est requise en France par la directive (UE) 2022/2523 du Conseil du 15 décembre 2022, ont pour objet de garantir une imposition effective de 15 %, appréciée par juridiction, des groupes d’entreprises ayant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros. 

À cette fin, ces groupes doivent déterminer, dans chaque juridiction où ils opèrent, leur taux effectif d’imposition GloBE (lequel se calcule sur la base d’une définition commune d’impôts couverts et d’une base d’imposition déterminée par référence au résultat comptable retraité de façon uniforme au niveau international) et, si celui-ci se révèle inférieur au taux minimum, s’acquitter d’un impôt complémentaire.

L’impôt complémentaire sera prélevé à travers la règle d’inclusion du revenu (pour les exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023) ou, à défaut, la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés (en principe, pour les exercices ouverts à compter du 31 décembre 2024). S’agissant de l’impôt complémentaire généré en France, il sera collecté en priorité par le mécanisme de l’impôt complémentaire national qualifié.

Les « Règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition » (communément désignées sous l’appellation « Règles GloBE » ou « Pilier 2 ») entendent assurer une imposition effective d'au moins 15 %, par juridiction, des groupes d’entreprises multinationales ayant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros. Issues d’un accord international, chaque juridiction est libre d’adopter ces règles. L’Union européenne en a toutefois imposé la transposition à l’ensemble de ses 27 États membres d’ici le 31 décembre 2023 à travers une directive1

Observations : l’article 33 de la loi de finances reprend, pour l’essentiel, fidèlement les dispositions de la directive, avec néanmoins quelques ajustements destinés à intégrer des fragments du Commentaire du Modèle de règles ou des instructions administratives adoptées par le Cadre inclusif OCDE/G20 le 1er février et le 13 juillet 2023 (par construction, les instructions postérieures à la publication du projet de loi de finances pour 2024, à savoir celles du 15 décembre 2023, ne sont pas intégrées). 

Certains concepts empruntent une terminologie différente de celle retenue par le Modèle de règles ou la directive (par exemple, l’« entité transparente localement » ou « flow-through entity » de l’OCDE, transformée en « entité transparente intermédiaire » par l’Union européenne se mue en « Entité interposée » sous la plume de Bercy ; de même, à la notion de « juridiction » est substituée celle d’ « État ou territoire »).

D’un point de vue légistique, un nouveau chapitre est inséré au Code général des impôts, après ceux consacrés à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Il porte création d’une nouvelle imposition : l’« imposition minimale mondiale des groupes d’entreprises multinationales et des groupes nationaux ». La première section de ce nouveau chapitre fournit un aperçu de la densité et complexité de cette imposition en intégrant un lexique comprenant 48 entrées.

I - Champ d’application

Groupes concernés. L’imposition minimale ne s’applique qu’aux groupes dont le chiffre d’affaires reflété dans les états financiers consolidés de leur entité mère ultime2 a atteint 750 millions au cours de deux des quatre derniers exercices (CGI art. 223 VL).

Il peut s’agir soit d’un groupe d’entreprises multinationales, c’est-à-dire d’un groupe comprenant au moins une entité ou un établissement stable qui n’est pas situé dans l’État ou le territoire de l’entité mère ultime (CGI art. 223 VK, 27°), soit d’un groupe national, c’est-à-dire composé exclusivement d’entités constitutives situées en France (CGI art. 223 VK, 28°). Des exemptions temporaires, dont la portée est matériellement limitée, sont prévues (v. infra).

Entités assujetties. Au sein de ces groupes, seules les entités revêtant la qualité d’« entité constitutive » sont effectivement assujetties à l’imposition minimale. Est une entité constitutive toute entité intégrée dans les états financiers consolidés de l’entité mère ultime sous la méthode de l’intégration globale. Ce concept comprend aussi les entités qui sont exclues de ces états financiers consolidés en raison uniquement de leur caractère non significatif ou du fait qu’elles sont destinées à être vendues. Enfin, les établissements stables respectifs de ces entités sont des entités constitutives distinctes de leur siège (CGI art. 223 VK, 26°). A cet égard, la notion d’établissement stable sous GloBE fait l’objet d’une définition ad hoc destinée notamment à révéler des établissements stables à l’endroit des succursales établies dans des juridictions démunies de tout système d’imposition des bénéfices ainsi que des établissements hybrides (CGI art. 223 VK, 20°).

Les coentreprises (à savoir les entités mises en équivalence dans ces mêmes états financiers consolidés et détenues à au moins 50 %, directement ou indirectement, par l’entité mère ultime) sont susceptibles de donner lieu à un impôt complémentaire déterminé selon des modalités particulières (définies aux articles 223 WO et 223 WO quater, v. infra).

Entités exclues. Certaines entités constitutives sont exclues de l’imposition minimale annuelle en raison de leur statut juridique ou de leur activité dont elles tirent généralement une exonération d’impôt sur les bénéfices localement :

  • les entités exclues par statut : les entités publiques, les organisations internationales, les organisations à but non lucratif, les fonds de pension ainsi que les fonds d’investissement et les véhicules d’investissement immobilier (sous réserve, pour ces deux dernières catégories, qu’ils revêtent en outre la qualité d’entité mère ultime) (CGI Art. 223 VL bis, 1°) ; et

  • les entités exclues par contamination : certaines filiales détenues à au moins 95 % ou 85 % de leur valeur par une ou plusieurs entités exclues par statut (à l’exception des entités de services de fonds de pension) dont l’activité, en synthèse, leur est accessoire ou consiste à la gestion de leurs actifs/placements/titres (CGI Art. 223 VL bis, 2° et 3°).

Localisation des entités. Le taux effectif d’imposition du groupe étant calculé par juridiction, il est impératif de rattacher chacune de ses entités à un État ou territoire donné.

Par principe, une entité est localisée dans la juridiction où elle est passible, en application de la législation locale, d’un impôt sur les bénéfices en raison de son siège de direction, de son lieu de création ou d’autres critères similaires ; à défaut, elle est alors réputée être située dans la juridiction de création (CGI Art. 223 VM, I). Par exception, une entité interposée (c’est-à-dire transparente fiscalement dans la juridiction où elle a été créée – en vertu par exemple du régime français des sociétés de personnes – sans être par ailleurs résidente fiscale d’une autre juridiction) est apatride, sauf s’il s’agit d’une entité mère ultime ou qu’elle est assujettie à une RDIR, auquel cas elle est réputée se situer dans l’État ou territoire qui l’a vue naître (CGI art. 223 VM, II).

Des dispositions analogues régissent la localisation des établissements stables, en fonction de l’une des quatre catégories dont ils ressortent, (CGI art. 223 VM bis) et résolvent les éventuels conflits de distribution territoriale des entités constitutives (CGI art. 223 VM ter à art. 223 VM quinquies).

Enfin, le lieu de situation des entités constitutives s’apprécie au premier jour de l’exercice concerné (CGI art. 223 VM sexies).

II- Détermination de l’impôt complémentaire

A- Règles générales de calcul détaillé de l’impôt complémentaire

1- Étape 1 : calcul du taux effectif d’imposition 

En ligne avec la directive et le Modèle de règles, le taux effectif d’imposition d’un groupe entrant dans le champ d’application des règles GloBE est déterminé, sauf situations spécifiques, par juridiction et au titre de chaque exercice selon la formule suivante : Somme des montants corrigés des impôts couverts des entités constitutives situées dans l’État ou territoire / Somme des résultats qualifiés de celles-ci (CGI art. 223 VY)

Numérateur du rapport de calcul du taux effectif d’imposition. Le montant corrigé des impôts couverts correspond aux montants des impôts couverts, courants et différés, comptabilisés par chacune des entités constitutives. Ces montants font l’objet, conformément à la directive et au Modèle de règles, de nombreuses corrections (CGI art. 223 VT à art. 223 VU octies) et, le cas échéant, de réallocations entre entités (CGI art. 223 VW à art. 223 VW octies).

Pour être « couvert » par les règles GloBE, un impôt doit ressortir de l’une des quatre catégories suivantes, lesquelles sont supposées embrasser la diversité des techniques d’imposition des bénéfices que l’on rencontre à travers le monde (CGI art. 223 VS) :

1° les impôts comptabilisés dans les états financiers de l’entité constitutive dus au titre de ses bénéfices ou de sa part dans les bénéfices d’une autre entité constitutive qui lui est attribuée à raison de la participation qu’elle détient dans cette entité. En France, selon les travaux parlementaires, il s’agirait notamment de l’impôt sur les sociétés, de la contribution sociale sur l’impôt sur les sociétés ainsi que de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d'assurances de dommages3. À notre avis, malgré l’absence de mention dans ces travaux, la CVAE devrait aussi rentrer dans cette catégorie ;

2° les impôts sur les résultats distribués ou réputés distribués prélevés dans le cadre de régimes d’imposition des sociétés assis sur les profits distribués (mis en place par exemple en Estonie ou Lettonie) ;

3° les impôts perçus en lieu et place de l’impôt sur les bénéfices généralement applicable (tels que les retenues à la source et les impositions prélevées sur une base alternative (e.g. assis sur le nombre d’unités produites ou la surface commerciale), et qui remplacent l’impôt sur le revenu en principe applicable dans la juridiction. La taxe sur les surfaces commerciales se cumulant en France à l’impôt sur les sociétés ne répondrait pas, selon les travaux parlementaires, à cette définition4 ; et

4° les impôts prélevés sur les bénéfices non distribués et les fonds propres (par exemple un impôt sur la fortune des sociétés), y compris les impôts assis sur des éléments relatifs aux bénéfices et aux fonds propres (tel que la Zakat levée par l’Arabie Saoudite).

Sont exclues de cette qualification, toute une série d’impositions telles que les impôts GloBE (i.e. RDIR, RBII et ICN), les impôts imputés remboursables non qualifiés (i.e. certains régimes aboutissant à rembourser l’impôt sur les sociétés acquitté par les sociétés à leurs actionnaires) et les impôts acquittés par une entreprise d’assurance au titre des revenus attribués aux assurés (CGI art. 223 VS bis).

Parmi les nombreux ajustements du montant des impôts couverts, l’un revêt une dimension pratique pour les contribuables et politique pour les États, celui des crédits d’impôt dits qualifiés. Ces derniers, qui s’entendent comme des avantages en impôt remboursables versés à l’entité constitutive en trésorerie (ou en équivalent de trésorerie) dans un délai de quatre ans à compter de la date à laquelle elle est en droit d’en bénéficier en application de la législation de la juridiction qui les accorde (CGI art. 223 VK, 3°), sont réintégrés aux impôts couverts s’ils ont été comptabilisés en diminution des impôts de l’entité constitutive qui en bénéfice (CGI art. 223 VT bis, 4°). Ils sont alors pris en compte dans le résultat qualifié de l’entité. Le taux effectif d’imposition de la juridiction peut s’en trouver affecté – lorsque ledit crédit d’impôt est exonéré d’impôt sur les sociétés mais dans une mesure moindre que s’il était venu en déduction de l’impôt couvert (CGI art. 223 VT bis, 4°). Le crédit d’impôt recherche, régi par les articles 244 quater B et 199 ter B du CGI, ainsi que le nouveau C3IV, codifié à l’article 244 quater I du CGI, devraient entrer dans cette catégorie de crédits d’impôt sous GloBE. 

Dénominateur du rapport de calcul du taux effectif d’imposition. Le résultat qualifié de chacune des entités constitutives correspond en principe à leur résultat net comptable tel que déterminé en application des normes comptables utilisées pour l’établissement des états financiers consolidés de l’entité mère ultime (e.g. lorsque l’entité mère ultime est en France les IFRS ou les French GAAP). En d’autres termes, celui qui ressort de leur liasse de consolidation, avant toutefois tout retraitement des opérations intragroupe (CGI art. 223 VN).

Ce résultat fait ensuite l’objet d’ajustements extra-comptables obligatoires (e.g. neutralisation de certains dividendes, certaines plus-values de cessions de titres de participations etc.) ou optionnels (CGI art. 223 VO à art. 223 VO quaterdecies) et, le cas échéant, de réallocation entre entités du groupe (e.g. entre le siège et l’établissement stable ou entre les entités transparentes et leurs détenteurs) (CGI art. 223 VQ à art. 223 VR sexies).

Exemption sectorielle. Le transport maritime international est généralement l’objet de régimes d’imposition dérogatoires, par exemple, sous la forme d’un régime d’imposition forfaitaire selon le tonnage des navires (organisé en France à l’article 209-0 B du CGI). Afin de ne pas perturber l’équilibre de ces régimes fiscaux admis par la communauté internationale, le résultat provenant de l’exploitation de navires en trafic international (y compris celui afférent aux activités accessoires à cette exploitation) est exclu de la détermination du résultat qualifié des entités constitutives exerçant ces activités sous réserve que la gestion stratégique ou commerciale de l’ensemble des navires concernés soit assurée à partir de l’État ou du territoire dans lequel ces entités sont localisées (CGI art. 223 VP à art. 223 VP quinquies).

2- Étape 2 : calcul de l’impôt complémentaire et allocation entre entités constitutives au sein d’une même juridiction

La loi de finances reprend, dans les grandes lignes, la mécanique de calcul de l’impôt complémentaire par juridiction (avec ses exceptions5) et son allocation subséquente entre les entités constitutives qui y sont localisées, telle que prévue par la directive GloBE. Pour rappel, un impôt complémentaire est dû lorsqu’au cours d’un exercice fiscal le taux effectif d’imposition d’un groupe d’entreprises multinational ou d’un groupe national est inférieur, dans un État ou territoire, au taux minimum d’imposition de 15 %.

Calcul de l’impôt complémentaire. En principe, l’impôt complémentaire au titre d’un exercice est calculé, par juridiction, conformément à la formule suivante : (15 % - taux effectif d’imposition) x (somme des résultats qualifiés des entités constitutives – déduction fondée sur leur substance) + impôt complémentaire additionnel - impôt national complémentaire (CGI art. 223 WB à art. 223 WB bis).

Le montant de déduction fondée sur la substance correspond à un pourcentage de la valeur comptable des actifs corporels (8 %) et des charges de personnel (10 %) ; ces taux diminueront progressivement pour atteindre 5 % en 2033. À noter que, pour être pris en considération, ces actifs et salariés/travailleurs indépendants/intérimaires doivent être localisés dans la même juridiction que l’entité constitutive. Ce mécanisme permet de réduire (voire effacer) l’impôt complémentaire dans les juridictions où le groupe dispose d’une présence économique réelle (CGI art. 223 W à art. 223 WA octies)

Observations : les règles de simplification d’allocation des frais de personnel et des actifs corporels aux fins de calcul de la déduction fondée sur la substance, développées dans les instructions administratives de juillet 2023, ne sont pas reprises à ce jour dans la loi.

Exclusion de minimis. Sur option de l’entité constitutive déclarante, l’impôt complémentaire dû à raison des entités constitutives situées dans un État ou territoire est réputé nul dès lors que (i) la moyenne des chiffres d’affaires cumulés et ajustés de l’ensemble des entités constitutives qui sont situées dans cette juridiction, au titre de cet exercice et des deux exercices précédents, est inférieure à 10 millions d’euros et (ii) la moyenne des bénéfices qualifiés nets ou des pertes qualifiées nettes de cette juridiction, au titre de cet exercice et des deux exercices précédents, est une perte ou un bénéfice inférieur à 1 million d’euros (CGI art. 223 WD à art. 223 WD quater).

Allocation de l’impôt complémentaire. Cet impôt complémentaire est ensuite réparti proportionnellement entre les entités ayant réalisé un bénéfice qualifié (sauf lorsqu’un impôt complémentaire est constaté à raison d’un impôt complémentaire additionnel et qu’aucun bénéfice qualifié net n’est constaté dans la juridiction, une autre méthode d’allocation trouve alors à s’appliquer) (CGI art. 223 WB ter et art. 223 WB quater).

B- Dispense de calcul détaillé de l’impôt complémentaire : les régimes de protection

Afin d’alléger la charge administrative des groupes dans les juridictions où aucun impôt complémentaire ne sera prima facie dû, il est instauré des régimes de protection (ou « safe harbour » en anglais) qui permettent de réputer nul ledit impôt complémentaire dès lors que la juridiction réussit des tests simplifiés. Certains sont temporaires et d’autres permanents.

Si la directive GloBE intégrait le principe de ces régimes de protection, leurs modalités d’application devaient faire l’objet d’un accord entre tous les États membres de l’Union européenne.

En l’état, la loi inclut en tant que régimes de protection temporaires :

  • le régime de protection temporaire assis sur la déclaration pays par pays (ou « CbCR ») aux termes duquel l’impôt complémentaire est réputé nul au titre d’une juridiction si elle passe un des trois tests suivants :

En pratique, ce dispositif est à ce jour le principal moteur de simplification en termes de mise en œuvre des règles GloBE dans les groupes. Il souffre cependant d’exceptions (e.g. les entités apatrides n’y ont pas accès), d’aménagements à destination de certaines entités (e.g. les coentreprises et groupes de coentreprises) et de l’inflation législative (de nouveaux ajustements des données issues du rapport CbCR et des états financiers consolidés sont apparus lors de la publication des instructions administratives du 15 décembre 2023, non encore reprises au Code général des impôts). Enfin, cette mesure de simplification est assujettie à une importante double limite temporelle : d’une part, elle ne s’applique qu’aux exercices ouverts au plus tard le 31 décembre 2026 et clos au plus tard le 30 juin 2028 et d’autre part, un groupe qui n’a pas fait application au titre d’un État ou territoire du régime de protection de temporaire sur le CbCR alors qu’il y était éligible perd la faculté de l’appliquer pour tout exercice ultérieur (CGI art. 223 VZ à art. 223 VZ octies).

  • le régime de protection temporaire d’exemption d’impôt complémentaire au titre de la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés (« RBII ») dans la juridiction de l’entité mère ultime équipée d’un impôt sur les sociétés avec un taux normal d’au moins 20 %. Il est applicable aux exercices ouverts jusqu’au 31 décembre 2025 et clos avant le 31 décembre 2026 (CGI art. 223 VZ nonies).

Observations : s’agissant du régime de protection permanent relatif à l’impôt national complémentaire qualifié et standardisé issu des instructions administratives de juillet 2023, sa réception en droit français paraît limitée à la transposition de la directive sans prendre en compte ces instructions. Par ailleurs, le régime de protection temporaire assis sur le CbCR nous paraît imparfaitement transposé (e.g. il n’intègre pas la neutralisation des moins-values latentes nettes sur titres de participation de plus 50 millions d’euros du résultat comptable avant impôts ni les ajouts des instructions administratives du 15 décembre 2023). Enfin, le régime de protection permanent au titre des règles de calculs simplifiés (circonscrit aux entités constitutives non matérielles à ce stade) n’est pas retranscrit en droit français.

III- Règles dérogatoires 

Les sections VI et VII du nouveau chapitre II bis du Code général des impôts réunissent les nombreuses règles dérogatoires par thématique :

  • Une première partie regroupe les dispositions relatives aux restructurations largo sensu :

i) incidence des acquisitions et cessions d’entités par le groupe sur l’appréciation du test du chiffre d’affaires de 750 millions d’euros (CGI art. 223 WL à art. 223 WL quater)

ii) conséquences des entrées/sorties d’une entité d’un groupe (CGI art. 223 WM à article 223 WM bis)

iii) traitement des transferts d’actifs et passifs, en particulier en présence d’une fusion ou opération assimilée éligible localement à un régime fiscal de faveur (CGI art. 223 WN à art. 223 WN quinquies).

  • Une deuxième partie rassemble les règles relatives aux structures capitalistiques singulières :

i) les coentreprises. Ce sont les entités dont les titres sont mis en équivalence dans les états financiers consolidés de l’entité mère ultime et détenues, par cette dernière – directement ou indirectement – à au moins 50 %. Leur principale particularité réside dans le fait que leurs données (résultat qualifié et impôts couverts) ne sont pas agrégées avec celles des entités constitutives du groupe localisées dans le même Etat ou territoire. En d’autres termes, elles font ainsi l’objet d’une agrégation juridictionnelle distincte (sauf si elles appartiennent au même groupe de coentreprises auquel cas une agrégation aux bornes dudit groupe est admise par juridiction) (CGI art. 223 WO à art. 223 WO quater). 

ii) les groupes d’entreprises à entités mères multiples6 (CGI art. WP à art. WP septies).

  • Une dernière partie est enfin destinée à prendre en compte, dans la dimension GloBE, les régimes de neutralité fiscale (telle que la transparence fiscale de l’entité mère ultime ou de véhicules d’investissement) généralement admis à l’international ainsi que les systèmes d’imposition locaux atypiques (CGI art. 223 WQ à art. 223 WV quinquies). Certaines de ces règles sont optionnelles.

IV- Mécanismes de prélèvement de l’impôt complémentaire : RBII, RDIR et INC

La collecte de l’impôt complémentaire est assurée à travers trois mécanismes :

  • l’impôt national complémentaire (INC) en vertu duquel les entités constitutives faiblement imposées situées en France sont redevables de leur propre impôt complémentaire. Cet INC peut être calculé à partir du résultat net comptable déterminé selon les principes comptables français ou les normes IFRS en lieu et place de la norme utilisée pour l’établissement des états financiers consolidés de l’entité mère ultime (CGI Art. 223 WF). La France n’était pas tenue de mettre en place l’INC, puisque la directive GloBE la présente comme une option dont l’exercice est à la discrétion de ses États membres, elle lui permet cependant d’éviter qu’un impôt complémentaire de source française n’abonde le budget d’un autre État ou territoire.

Observation : à ce jour, l’INC français ne nous semble pas être totalement en phase avec certains des principes posés par les instructions administratives de février et juillet 2023 (e.g. il ne déroge pas à l’application de certaines règles de réallocation des impôts couverts entre entités constitutives autrement applicables pour les besoins de la RDIR et de la RBII).

  • la règle d’inclusion du revenu (RDIR) en vertu de laquelle toute entité mère7, située en France, est redevable de l’impôt complémentaire des entités constitutives faiblement imposées qu’elle détient, à hauteur de son ratio d’inclusion (i.e. droits aux bénéfices) et ainsi que, le cas échéant, de son propre impôt complémentaire (si elle est elle-même insuffisamment imposée).

Des règles de priorité (e.g. si l’entité mère ultime est assujettie à une RDIR qualifiée, les autres entités mères, à l’exception des entités mères partiellement détenues, sont exemptées de RDIR) et un mécanisme de crédit d’impôt (soit au titre d’un impôt complémentaire national qualifié non standardisé acquitté par l’entité constitutive faiblement imposée, soit au titre d’une RDIR appliquée par une entité mère en aval de la chaîne de participations) permettent de prévenir les risques de prélèvement multiple d’un même impôt complémentaire (CGI art. 223 WG à art. 223 WJ).

  • la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés (RBII), qui constitue le filet de sécurité du dispositif GloBE, en vertu de laquelle toute entité constitutive (à l’exception des entités d’investissement) située en France est redevable d’une fraction de l’impôt complémentaire des entités constitutives faiblement imposées appartenant au même groupe qui n’a pas déjà été prélevé par le truchement d’un impôt national complémentaire qualifié ou d’une RDIR qualifiée.

Cette fraction est tributaire du nombre d’employés et de la valeur comptable des actifs corporels localisés en France et détenus par ces entités constitutives françaises. L’idée étant de répartir la masse d’impôts complémentaires non collectée entre toutes les juridictions appliquant une RBII sur la base de ces deux critères.

La RBII prend la forme en France d’un prélèvement complémentaire, et non, comme l’y autorise la directive GloBE, d'un refus de déduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu de charges.

Elle n’est pas applicable lorsque toutes les participations de l’entité mère ultime dans l’entité constitutive insuffisamment imposée sont détenues, directement ou indirectement, par une ou plusieurs entités mères qui sont tenues d’appliquer, dans l’État ou le territoire où elles sont situées, une RDIR qualifiée. Ainsi, si l’entité mère ultime est en France, la RBII est désactivée (CGI art. 223 WJ à art. 223 WK quater).

Mécaniquement, la règle de l’INC est donc prioritaire sur celle de la RDIR laquelle a préséance sur la RBII.

V- Règles transitoires

Ajustement. Les articles 223 WX à 223 WX ter du CGI prévoient toute une série d’ajustements à opérer au niveau des impôts différés au titre de l’exercice de transition (i.e. le premier exercice d’assujettissement du groupe aux règles GloBE dans une juridiction) et des exercices ultérieurs. Ils incluent également une règle anti-abus applicable aux transferts d’actifs entre entités constitutives survenus entre le 30 novembre 2021 et le début de l’exercice de transition.

Exonération temporaire. Pendant 5 ans, sous conditions et dans certaines limites, les groupes d’entreprises multinationales en phase de démarrage de leurs activités internationales8 ainsi que les groupes nationaux sont exemptés d’impôts complémentaires prélevés par RDIR et RPII (CGI art. 223 WY et art. 223 WZ).

VI- Déclaration, paiement et contrôle

A- Obligations déclaratives

Mention dans la déclaration de résultat. Chaque entité constitutive localisée en France appartenant à un groupe assujetti aux règles GloBE a l’obligation primaire d’indiquer, dans sa déclaration de résultat, qu’il appartient à un tel groupe (en renseignant par ailleurs l’identité de l’entité mère ultime, de l’entité déclarante le cas échéant, et leur juridiction respective) (CGI art. 223 WW, I).

Déclaration d’information GloBE (DIG). Sauf à ce qu’elle en soit dispensée (au motif qu’une autre entité la transmet – directement ou indirectement – à la France), il lui appartient également de déposer, dans les 15 mois (18 mois la première fois) qui suivent la clôture de l’exercice, la déclaration d’informations au titre de l’impôt complémentaire (« GIR » en anglais) (CGI art. 223 WW, II et art. 223 WW bis).

Bordereau de liquidation. Dans les mêmes délais, chaque entité constitutive doit déposer un relevé de liquidation au titre de l’impôt complémentaire qu’elle doit (CGI art. 223 WW, III).

B- Paiement, recouvrement et contrôle

Modalités de paiement. Le paiement s’opère par télérèglement concomitamment au dépôt du bordereau de liquidation. Sur option, les entités constitutives situées en France peuvent désigner une entité parmi elles pour s’acquitter de la totalité de l’impôt complémentaire dû en application de l’INC ou de la RBII, auquel cas le relevé de liquidation est produit par celle-ci pour leur compte (CGI art. 1679 decies). L’imposition minimale annuelle ne donne pas lieu au versement d’acomptes trimestriels (CGI art. 1679 undecies).

Observations : l’impôt complémentaire (prélevé via la RDIR, la RBII ou l’INC) n’est pas déductible de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu (CGI art. 223 VJ, dernier alinéa). Le législateur demeure en revanche muet sur la possibilité ou l’obligation de refacturer l’impôt complémentaire ainsi que la fiscalité applicable le cas échéant à ce flux (contrairement, par exemple, au projet de loi de transposition allemand).

Modalités de recouvrement. L’imposition minimale annuelle est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes garanties, sanctions, sûretés et privilèges que l’impôt sur les sociétés. En matière d’assiette, les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ce même impôt (CGI art. 1679 undecies).

Pénalité. Tout défaut ou retard dans le dépôt de la DIG ou le relevé de liquidation est sanctionné par une amende de 100 000 euros (les autres manquements déclaratifs font l’objet d’une amende maximale de 50 000 euros par déclaration) avec un plafond de 1 million d’euros au titre d’un même exercice aux bornes du groupe (CGI art. 1729 F bis).

Délai de reprise. Le droit de reprise de l’administration s’éteint le 31 décembre de la cinquième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition minimale annuelle est due (LPF art. L. 172 I).

VII- Entrée en vigueur

L’imposition minimum annuelle s’applique aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023 (à l’exception de sa composante RBII qui entre en vigueur un an plus tard, sauf à ce que l’entité mère ultime d’un groupe soit localisée dans un État membre de l’Union européenne ayant reporté de six ans la mise en œuvre des règles GloBE au motif qu’il n’y a pas plus de 12 entités mères ultimes de groupes entrant dans le champ d’application de la directive GloBE sur son territoire ; à ce jour, 5 pays ont notifié à la Commission européenne leur intention d’exercer l’option pour un tel report : Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte et Slovaquie).

Ces dispositions législatives seront complétées d’un décret et d’une ordonnance. En effet, selon l’exposé des motifs du projet de loi de finances, des groupes de travail portant sur les modalités pratiques de mise en œuvre de ces règles par les États, notamment les obligations déclaratives, étant toujours en cours à l’OCDE, le gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnance toute mesure ultérieure du niveau de la loi relative à la déclaration, au recouvrement, au contrôle et aux sanctions des impôts complémentaires dus en vertu de ces nouvelles règles.

Observations : l’habilitation donnée par le Parlement au Gouvernement pour parachever la réception en France des règles GloBE ne s’étend pas aux règles d’assiette de l’imposition minimale annuelle. Or, la loi de finances n’intègre pas certaines dispositions issues des dernières instructions administratives agréés par le Cadre inclusif OCDE/G20 lesquelles doivent être suivies par le France au risque de voir ses RDIR, RBII et INC disqualifiés.

Toutefois, le rapport du Sénat indique que « ces éléments auront vocation, selon le niveau de norme requis en droit interne, à être intégrés dans un prochain véhicule législatif ou, lorsqu’ils relèvent de la précision technique, dans la doctrine administrative »9, y compris les futures instructions administratives du Cadre inclusif OCDE/G20.

Parallèlement, ce même rapport parlementaire met en exergue les risques juridiques associés à l’incorporation des nouvelles règles – obligatoires ou optionnelles – issues des instructions administratives en droit français dans les situations où elles contreviennent manifestement aux dispositions de la directive GloBE10. Son préambule fait certes référence, à de multiples reprises, aux publications du Cadre inclusif OCDE/G20, comme sources d’illustration ou d’interprétation à utiliser par les États membres dans leur mise en œuvre des règles GloBE, sous la réserve néanmoins qu’elles soient conformes à la directive et au droit de l’Union11 (réserve qui ne fait que refléter la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne12). Or, certaines des instructions administratives semblent dépasser la dimension interprétative en réécrivant ou ajoutant de nouvelles règles (le Sénat en a dressé une liste13). 

Sources

[1] Directive (UE) 2022/2523 du Conseil du 15 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union.

[2] Une entité qui est tenue – ou qui aurait été tenue conformément à une norme de comptabilité financière qualifiée – de consolider par la méthode de la consolidation globale une autre entité dans ses états financiers consolidés sans être détenue par une entité dans les mêmes conditions (CGI Art. 223 VK, 18°).

[3] Rapport AN, p. 107.

[4] Rapport AN, p. 76.

[5] Ainsi, les entités constitutives à détention minoritaire déterminent leur taux effectif d’imposition et leur impôt complémentaire sur une base individuelle (une entité constitutive est dite à détention minoritaire lorsque son entité mère ultime détient, directement ou indirectement, une participation inférieure ou égale à 30 %). Si elles appartiennent au même sous-groupe d’entités constitutives à détention minoritaire, leur résultat qualifié et impôts couverts sont alors agrégés, par juridiction, avec les autres membres du même sous-groupe aux fins de calcul du taux effectif d’imposition et de l’impôt complémentaire. À cet égard, le sous-groupe d’entités constitutives à détention minoritaire est traité comme un groupe distinct du groupe d’entreprises multinationales ou national auquel il appartient (CGI art. 223 WE à art. 223 WE ter).

[6] Ce sont les groupes dont les entités mères ultimes ont conclu un accord de jumelage d’actions ou un accord de double cotation et dont au moins une entité ou un établissement stable n’est pas situé dans le même État ou territoire que les autres entités.

[7] C’est-à-dire une entité mère intermédiaire, une entité mère partiellement détenue ou une entité mère ultime, qui n’est pas une entité exclue (CGI art. 223 VK, 15°). Une entité mère intermédiaire est une entité constitutive qui détient, directement ou indirectement, une participation dans une autre entité constitutive du même groupe, sans être considérée comme une entité mère ultime, une entité mère partiellement détenue, un établissement stable, une entité d’investissement ou une entité d’investissement d’assurance (CGI art. 223 VK, 16°). Une entité mère partiellement détenue est une entité constitutive qui n’est pas considérée comme une entité mère ultime, un établissement stable, une entité d’investissement ou une entité d’investissement d’assurance, qui détient, directement ou indirectement, une participation dans une autre entité constitutive du même groupe et dont plus de 20 % des titres ouvrant droit à ses bénéfices sont détenus, directement ou indirectement, par une ou plusieurs personnes qui ne sont pas des entités constitutives du groupe (CGI art. 223 VK, 17°).

[8] Un groupe d’entreprises multinationales est considéré comme étant dans la phase de démarrage de ses activités internationales lorsque, au titre d’un exercice, les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies :

1° ses entités constitutives ne sont pas situées dans plus de six États ou territoires différents ; et

2° la somme de la valeur nette comptable des actifs corporels de toutes les entités constitutives, à l’exception de celles qui sont situées dans l’État ou le territoire où la valeur totale des actifs corporels du groupe est la plus élevée, n’excède pas 50 millions d’euros.

[9] Rapport Sénat, p. 257.

[10] Rapport Sénat, pp. 264 et ss.

[11] Directive GloBE, considérant 24.

[12] V. par exemple, CJUE, 28 juin 2021, aff. C-7/11, Caronna, pt 40 : « le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé ».

[13] Rapport Sénat, p. 267.

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Emmanuel Raingeard de la Blétière

Emmanuel Raingeard de la Blétière

Avocat, Associé, PwC Société d'Avocats

Valentin Leroy

Valentin Leroy

Directeur, PwC Société d'Avocats

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